Plus de deux ans après l'annexion de leur péninsule par la Russie, les habitants de Crimée élisaient dimanche leurs premiers députés russes lors de législatives dénoncées par Kiev et fustigées par les dirigeants de la minorité tatare qui ont appelé au boycottage.

Un total de 1164 bureaux de vote ont ouvert dans cette péninsule rattachée à la Russie en mars 2014 après une intervention des forces spéciales russes et un référendum jugé illégal par la majorité de la communauté internationale.

Dans le port de Sébastopol, où la présence historique d'une base navale russe en a fait un bastion prorusse, la plupart des électeurs disaient avoir donné leur voix au parti pro-Kremlin au pouvoir, Russie Unie, ou aux partis déjà représentés à la Douma.

«J'ai voté pour Russie Unie parce que j'aime ce parti», explique à l'AFP un soldat à la retraite de 53 ans tandis que Vladimir Alexandrovitch, un ancien physicien de 76 ans «mécontent de la bureaucratie et des prix», explique avoir donné sa voix au Parti communiste russe.

La capitale de la péninsule, Simféropol, n'était, elle, pas en effervescence dimanche et les bureaux de vote étaient peuplés pour une large majorité de retraités.

La voix de l'un d'entre eux, Valentina Nikiforova, est allée naturellement vers le dirigeant actuel de la Crimée, Sergueï Axionov. «Si Poutine l'aime bien, alors nous devons tous l'aimer. Nous sommes pour Poutine, que Dieu lui donne la santé», explique-t-elle benoitement.

Mais Ivan, qui avait pourtant célébré le retour de la Crimée dans le giron russe il y a 30 mois, explique pour sa part avoir refusé de se déplacer pour ces «bandits».

«Regardez ce qu'ils ont fait en Crimée. La nourriture est plus chère qu'à Moscou, les médicaments sont des denrées rares et les salaires et les retraites ne sont pas assez élevés pour acheter de la nourriture», jure-t-il.

«Perdre son travail»

Le manque d'enthousiasme pour ce vote était particulièrement flagrant dans les banlieues de Simféropol, où vivent en majorité des Tatars de Crimée.

Le dirigeant du Medjlis, l'assemblée de cette communauté classée «organisation extrémiste» par Moscou en avril, a appelé samedi les Tatars (14% des habitants de Crimée) à ne pas prendre part au vote.

«L'élection des députés à la Douma russe en Crimée occupée est illégale et criminelle», a déclaré Refat Tchoubarov sur sa page Facebook, appelant les Tatars à «trouver le courage et la force de ne pas céder face au chantage».

Et alors que Russie Unie a dit espérer un fort taux de participation en Crimée, qui confirmerait la loyauté de la péninsule à Vladimir Poutine, certains Tatars ont évoqué des pressions les poussant à voter.

C'est le cas de Mouniver, qui tient un étal dans un grand marché du centre-ville et assure avoir été menacé par sa direction s'il n'allait pas voter. «J'ai peur pour mon travail, mais comment pourrais-je aller voter? Mes enfants ne me respecteraient plus, mes voisins ne me diraient plus bonjour», explique-t-il.

À Kamianka, un village du nord de la Crimée, Nadjié est institutrice et assure que «la direction de l'école a menacé de licencier les Tatars s'ils n'allaient pas voter».

«Qu'est-ce que je peux faire, je ne veux pas perdre mon travail», ajoute cette jeune femme de 35 ans tandis qu'un autre Tatar, Aïder Iliassov, ne compte pas suivre les consignes du Medjlis.

«Si je ne fais rien d'autre que m'asseoir à la maison, rien ne changera. Le Medjlis est à Kiev, c'est facile pour eux, mais nous vivons ici», assène-t-il.

Mais pour Zeytoulla, un père de famille refusant lui aussi de donner son patronyme, voter pour «l'oppresseur» est inimaginable.

«Comment voulez-vous voter pour un pouvoir qui enlève, intimide, arrête des Tatars de Crimée, qui intervient dans nos mosquées», explique-t-il.

Kiev a sans surprise condamné ce vote et quelques dizaines de manifestants, certains appartenant au parti d'extrême droite Svoboda, ont manifesté devant les consulats russes dans la capitale et à Odessa contre le vote.

À Kiev, les manifestants ont piétiné un drapeau russe et d'autres ont promené une marionnette de Vladimir Poutine, pendue et en tenue de prisonnier. Des incidents ont éclaté avec des Russes venus voter, poussant la police à intervenir et à arrêter trois manifestants, a déclaré à l'AFP une porte-parole des forces de l'ordre, Oksana Blyshchyk.