Où va la Turquie? L'inquiétude grandit au sujet de ce pays qui a traversé un été de feu et de sang: un putsch raté contre le président Recep Tayyip Erdogan, deux gros attentats jihadistes et une offensive en Syrie pas si éclair que ça.

Ce grand pays à cheval entre Europe et Asie a fait la une de l'actualité mondiale tout l'été en s'enfonçant encore davantage dans la violence prévalant depuis le début, à l'été 2015, d'attentats en série attribués au groupe État islamique (EI) ou à la guérilla kurde.

Images d'un kamikaze blessé actionnant sa charge en plein hall des départs à l'aéroport international d'Istanbul en juin, de généraux putschistes le visage tuméfié après leur arrestation en juillet, de cadavres d'enfants gisant sous des draps à Gaziantep ou de chars turcs en action en Syrie en août: l'été turc a été meurtrier.

«Le bilan humain et économique est très lourd avec les attentats, les affrontements, les morts de policiers, gendarmes, civils, les victimes du putsch», déclare à l'AFP Ahmet Insel, éditorialiste du quotidien Cumhurriyet.

«Si le centième de ce qui est arrivé en Turquie cet été était arrivé à la France, elle serait en état de choc», dit-il.

L'été a commencé par un attentat contre l'aéroport d'Atatürk qui a fait 47 morts, alourdi le climat de peur et sinistré pour longtemps le tourisme, pour se terminer avec celui de Gaziantep qui a tué 55 convives d'un mariage kurde. Tous deux ont été imputés à l'EI.

Le putsch raté du 15 juillet a été de loin le plus meurtrier de tous ceux -- réussis ou manqués -- qui ont secoué la Turquie moderne, avec 274 morts. Il n'en finit pas d'agiter le pays avec une purge sans précédent.

«Si le coup d'État avait réussi cela aurait été une guerre civile, la fin de la Turquie», estime Bayram Balci, du Ceri (Sciences Po).

«Bombe à retardement»

Enfin, dans le nord de la Syrie, l'intervention qui avait les allures d'une offensive éclair des chars et F-16 turcs pour chasser l'EI et faire reculer les combattants kurdes entre dans sa deuxième semaine.

Les craintes d'embrasement d'un conflit déjà très complexe comme celles d'un enlisement des Turcs sont réelles.

«Faire oeuvre de puissance en allant en Syrie, cela ne s'improvise pas. C'est très aventureux», juge Dorothée Schmid, de l'IFRI, qui évoque «une espèce de syndrome d'isolement mental» du pouvoir turc.

Dans ce contexte très lourd, les images du président Recep Tayyip Erdogan, qui poursuit toujours son rêve de «nouvelle Turquie», inaugurant ici une mosquée pharaonique, là un pont spectaculaire sur le Bosphore ont apporté leur touche surréaliste.

«Ça a été un été meurtrier», dit M. Balci, «cela n'est pas près de se calmer à cause du putsch raté et de l'intervention turque en Syrie», dit le chercheur qui ne voit «pas beaucoup de signes qui permettent d'être optimistes».

Ahmet Insel voit deux points noirs pour les mois à venir: le conflit avec les Kurdes et la lutte contre les jihadistes de l'EI.

Avec les Kurdes, on a vu «une plaie qui se transforme en tumeur cancéreuse» en raison de l'aggravation d'un conflit sanglant. «Le ressentiment entre Turcs et Kurdes va s'exaspérer de plus en plus», prévoit-il, «c'est une bombe à retardement».

Pour Mme Schmid «après cette intervention en Syrie, on peut s'attendre à ce que cette violence kurde (dans le sud-est) s'étende dans des régions où jusqu'à présent elle n'avait pas frappé, il va y avoir plus d'attentats dans l'Ouest».

Le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) «va probablement passer à l'offensive dans les villes», estime-t-elle.

«Cellules dormantes»

Quant à l'EI, son éradication en Syrie peut provoquer «le passage à l'action de toutes ses cellules dormantes en Turquie», ce qui ferait «vivre au pays une longue période d'attentats», avertit M. Insel.

Dans les secousses violentes de l'été, Erdogan a tenu bon.

«Erdogan tient la barre, mais la barre bouge beaucoup. Il ne sait pas où il va», affirme M. Insel qui évoque «une politique du coup par coup, d'hyper-réactivité».

Pour Mme Schmid, «la vengeance (d'Erdogan) après le coup d'État manqué et la démonstration de force en Syrie ne font ni une stratégie de stabilisation ni une stratégie de développement du pays».

Ankara a peur d'un nouveau putsch et de l'instabilité. «Il faut se faire à l'idée que le pouvoir va être de plus en plus autoritaire», dit M. Balci. «L'autoritarisme est aussi alimenté par le contexte régional».

«L'aggravation de la situation en Syrie est très négative pour la Turquie», conclut-il.