Financements des mosquées, formation des imams... : le gouvernement français et des représentants musulmans ont relancé lundi le chantier de construction d'un « islam de France », au coeur de débats fiévreux dans un pays ciblé par les djihadistes.

À l'issue d'une journée de consultations, le ministre de l'Intérieur et des Cultes Bernard Cazeneuve a présenté deux nouvelles instances, en gestation depuis des mois, pour trouver des financements exclusivement français à des projets liés à l'islam.

Le ministre a évoqué une « nouvelle étape » présentant « un caractère d'urgence et de nécessité particulier », vu le contexte, pour « créer les conditions d'une relation forte et apaisée entre la République et les Français de confession musulmane ».

La multiplication des attentats depuis janvier 2015 a suscité de nouvelles crispations dans la société française autour de la place de la deuxième religion du pays (environ 4 millions de personnes).

L'interdiction cet été sur certaines plages françaises du burkini, une tenue de bain islamique, ou le refus d'un restaurateur de servir des femmes voilées ont montré la défiance croissante d'une partie de la population envers les musulmans.

Dans ce cadre, le gouvernement a décidé de se replonger dans un dossier épineux, ouvert il y a une quinzaine d'années : la structuration de l'islam de France. Le but ? Identifier les « prêcheurs de haine » et faciliter le dialogue avec les musulmans modérés.

Jusqu'ici, le chantier a été ralenti par l'influence des pays d'origine des fidèles. Différentes fédérations (liées au Maroc, à l'Algérie ou à la Turquie, notamment) peinent à travailler ensemble et le Conseil français du culte musulman (CFCM) a longtemps été paralysé par leurs rivalités.

Pour minimiser ces influences étrangères, l'État a souhaité relancer l'idée d'une « fondation pour l'islam de France », née en 2005 et restée lettre morte en raison des dissensions internes.

Objectif de cette fondation laïque et de l'association cultuelle qui lui sera adossée : lever des financements français, alors que ceux venant de l'étranger sont jugés peu transparents.

L'ancien ministre socialiste Jean-Pierre Chevènement, 77 ans, farouche défenseur de la laïcité, va en prendre la présidence. Mais le choix d'un non-musulman a suscité de l'incompréhension dans les rangs musulmans.

C'est « pour le moins une maladresse », a déclaré le consultant Hakim El Karoui, un musulman laïc qui a participé lundi à la journée de discussions au ministère de l'Intérieur.

« Gravité des défis »

« Je pense que comme ancien ministre de l'Intérieur moi-même, je ne pouvais pas refuser de contribuer à cette oeuvre d'intérêt public », a expliqué à l'AFP l'intéressé, qui avait lancé en 1999 une « consultation des musulmans de France » ayant abouti, quatre ans plus tard, à la création du CFCM.

Quatre autres « personnalités qualifiées », toutes de confession ou culture musulmane, siègeront à ses côtés au conseil d'administration de la fondation, notamment l'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun et le recteur de la grande mosquée de Lyon (centre-est) Kamel Kabtane.

En raison de la stricte séparation entre l'État et les cultes dans le pays, conformément à une loi datant de 1905, la « Fondation pour l'islam de France » ne traitera que de questions profanes : éducation, recherche, formation civique...

Le volet religieux de la recherche de financements (formation théologique des imams, construction de mosquées...) sera entre les mains d'une association cultuelle administrée par des représentants musulmans, et dans laquelle l'État ne sera pas partie prenante.

Les financements étrangers étant exclus, elle pourrait notamment être financée par « une contribution - volontaire et négociée - des acteurs de la filière halal, ainsi que les dons des fidèles », a précisé Bernard Cazeneuve.

Pour le président du CFCM, Anouar Kbibech, « donner aux institutions musulmanes des moyens financiers va contribuer à renforcer leur rôle dans la prévention de la radicalisation, en particulier via l'habilitation des imams ».

Pour lui, ces structures vont permettre de surmonter les divisions internes. « La gravité des défis nous commande de travailler dans l'unité », a-t-il déclaré en sortant du ministère.