Le parquet turc a requis mardi deux peines de prison à vie à l'encontre de l'ex-imam Fethullah Gülen, accusé d'avoir ourdi le putsch avorté du 15 juillet, tandis que la purge massive en cours contre ses sympathisants s'est étendue à des dizaines d'entreprises à Istanbul, le coeur économique de la Turquie.

Dans l'acte d'accusation, le prédicateur, qui vit en exil aux États-Unis depuis 1999 et dont Ankara réclame l'extradition, est accusé, d'une part, d'avoir «tenté de détruire l'ordre constitutionnel par la force» et, d'autre part, d'avoir «formé et dirigé un groupe terroriste armé», a rapporté l'agence de presse Anadolu.

Une peine supplémentaire de 1900 ans d'emprisonnement est aussi requise à son encontre.

Plus tôt mardi, le premier ministre turc Binali Yildirim s'était prononcé devant le parlement en faveur d'un «procès juste et impartial» pour M. Gülen, semblant faire marche arrière sur le dossier sensible du possible rétablissement de la peine de mort, abolie en 2004.

«Gülen va rentrer en Turquie et il rendra des comptes», a-t-il martelé. «Une personne ne meurt qu'une seule fois lorsqu'elle est exécutée. Il existe des façons de vivre qui ressemblent davantage à la mort pour ces gens», a-t-il dit.

«Le peuple souhaite le rétablissement de cette peine (capitale) mais je ne pense pas que, si un débat parlementaire est ouvert sur le dossier, les députés l'approuveront», a toutefois affirmé à l'AFP une source gouvernementale.

Fethullah Gülen, 75 ans, bête noire du président Recep Tayyip Erdogan, nie toute implication dans le coup de force. Il est accusé d'être à la tête d'un «État parallèle» et d'une «organisation terroriste» baptisée FETO, depuis l'éclatement en 2013 d'un scandale de corruption impliquant M. Erdogan.

Les procureurs accusent le réseau Gülen d'avoir infiltré les institutions et les services de renseignement. Le groupe s'est appuyé sur son réseau de fondations, d'écoles privées, d'entreprises, de sociétés d'assurances ou encore de médias pour prendre le contrôle des institutions turques, selon l'accusation.

Collectes sous forme de «dons»

La FETO est accusée d'avoir collecté des fonds versés par des hommes d'affaires sous couvert de «dons» et d'avoir transféré cet argent aux États-Unis.

Une enquête avait été ouverte sur la FETO et son mode de financement en septembre 2015 par les procureurs. Depuis lors, 111 personnes ont été visées dans cette affaire et risquent entre deux ans de réclusion et la prison à vie.

Dès le surlendemain du coup avorté, M. Erdogan avait évoqué un possible rétablissement de la peine capitale, provoquant l'indignation de l'Union européenne avec laquelle Ankara a des relations tumultueuses.

Les autorités turques ont poursuivi mardi leur purge critiquée par les Occidentaux. Elles ont déjà fait arrêter plus de 35 000 personnes soupçonnées de sympathies pour le prédicateur musulman. 11 597 d'entre elles ont toutefois été libérées.

La police financière turque a déclenché tôt dans la matinée une vaste opération à Istanbul, première mégapole de Turquie, contre des entreprises soupçonnées de liens avec Fethullah Gülen, selon les médias.

Environ 80 suspects ont été placés en détention.

Le parquet d'Istanbul a pour sa part annoncé mardi que 239 employés des tribunaux d'Istanbul, dont des procureurs, avaient été arrêtés dans le cadre d'une opération réalisée lundi.

Le chef de l'État a insisté mardi devant un parterre de bâtonniers turcs sur le fait que «toutes les détentions se font dans le cadre des lois» et de l'état d'urgence décrété au lendemain du putsch manqué, balayant d'un revers de la main les critiques internationales.

«À ce jour, un mois après le coup d'État, aucun dirigeant occidental n'a encore visité notre pays», a aussi regretté l'homme fort de la Turquie.

Des dizaines de milliers de fonctionnaires ont également été renvoyés ou suspendus dans le cadre de l'offensive d'Ankara.

Le vice-président américain Joe Biden est attendu le 24 août en Turquie, d'après le gouvernement turc qui presse Washington de lui remettre son ennemi public n°1.

Le chef de la diplomatie turque s'est entretenu mardi au téléphone avec son homologue américain John Kerry et a notamment abordé «le processus d'extradition» de Fethullah Gülen avant ce déplacement, a dit une source turque.

Le ministère public turc a adressé la semaine dernière une lettre aux autorités américaines afin qu'il soit placé en détention.