En 2011, quatre journalistes ont été mis en prison après avoir écrit des ouvrages critiques du mouvement de Fethullah Gülen. Alors que le réseau du prédicateur musulman est aujourd'hui accusé par le gouvernement turc d'avoir orchestré le coup d'État du 15 juillet, nous sommes allés à la rencontre des reporters aujourd'hui libérés à Istanbul.

Paranoïaque. Fasciste. Fabulateur. Baris Terkoglu a entendu à peu près toutes les insultes à son égard quand il enquêtait et publiait des articles sur les activités du réseau lié au prédicateur Fethullah Gülen. Aujourd'hui, le vent tourne.

Le journaliste de 36 ans, qui est l'une des vedettes des médias alternatifs de Turquie, croit fermement que le gouvernement a raison de soupçonner le mouvement de Fethullah Gülen d'avoir été à l'origine du coup d'État raté qui a fait 270 morts dans la nuit du 15 au 16 juillet.

La nuit de violence a profondément traumatisé la population turque, qui a vu, en direct à la télévision, son parlement bombardé par les putschistes et des tanks ouvrir le feu sur des civils.

La vie a rapidement repris son cours à Istanbul, mais les résidants notent que la mégapole, abandonnée tant par les vacanciers turcs que par les touristes, est beaucoup plus tranquille qu'à l'habitude.

« Nous savions depuis un certain temps que quelque chose se préparait. Nous avons même publié des articles sur notre site web, Oda TV », explique Baris Terkoglu, qui a consacré plusieurs articles à l'infiltration du mouvement Gülen dans les forces armées.

« Aujourd'hui, tout le monde nous écoute, mais malheureusement, il est trop tard. Des gens ont payé un prix trop élevé parce que le gouvernement n'est pas intervenu à temps », dit Baris Terkoglu, rencontré dans les locaux d'Od TV, un média électronique qui rejoint plus de 12 millions de personnes par mois. Les locaux exigus se trouvent en plein coeur de Kadiköy, un quartier grouillant sur la rive asiatique d'Istanbul. Six journalistes sont entassés dans une seule pièce. Ces jours-ci, ils travaillent jour et nuit pour tenter de comprendre ce qui a pu se passer le 15 juillet.

19 MOIS DE PRISON

Baris Terkoglu estime faire partie des nombreuses personnes lésées par le mouvement Gülen ces dernières années. Le 14 février 2011, alors que son collègue Baris Pehlivan et lui s'apprêtaient à mettre la ligne finale à un livre critique à l'endroit de l'organisation, des policiers sont débarqués dans les locaux d'Oda TV, ont saisi tous les ordinateurs et embarqué les deux auteurs.

« Nous avons été accusés de crime organisé et d'avoir appartenu à un complot contre l'État. J'ai passé 19 mois en prison », dit le jeune homme pendant que son fils de 2 ans et demi joue à un jeu vidéo sur ses genoux. À l'époque, rappelle-t-il, le mouvement Gülen et le parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement de Recep Tayyip Erdogan, étaient de proches alliés.

Les liens entre les deux organisations se sont cependant rapidement dégradés en 2013, l'année où les deux auteurs ont été libérés de prison. « Je ne peux pas prouver qu'il y a un lien entre notre libération et la rupture des liens entre l'AKP et le mouvement Gülen, mais les dates concordent », note le journaliste turc.

UN LIVRE DÉRANGEANT

Les deux Baris ne sont pas les seuls critiques du mouvement Gülen à avoir passé du temps à l'ombre. Journaliste d'enquête réputé, Ahmet Sik, qui venait tout juste de finir lui aussi l'écriture d'un livre sur le mouvement Gülen, intitulé L'armée de l'imam, a été arrêté en mars 2011, soit quelques semaines plus tard.

Son livre a été saisi, mais un exemplaire a été publié sur l'internet. Dans son ouvrage, le journaliste d'enquête avançait que des membres du mouvement Gülen avaient infiltré les forces policières et d'autres milieux névralgiques de l'appareil étatique turc et en prenaient graduellement le contrôle. En 2012, à la suite d'une mobilisation internationale en sa faveur, Ahmet Sik a été relâché.

Croit-il que le mouvement Gülen est responsable du coup d'État avorté ?

« Si on regarde les informations et les documents qui sont rendus publics maintenant - et je dois dire que leur exactitude peut être remise en doute -, il semble que le mouvement Gülen soit effectivement derrière le coup », affirme Ahmet Sik au média Deutsche Welle.

Le gouvernement a notamment publié des comptes rendus d'interrogatoires avec des généraux soupçonnés d'avoir pris part à la tentative de coup d'État du 15 juillet, mais il est difficile d'en attester la véracité. Dans un pays où des fausses preuves ont maintes fois été produites par les autorités, la prudence est de mise.

Malgré le flou qui entoure encore l'enquête sur le putsch avorté, Baris Terkoglu croit qu'un jour, la Turquie aura des preuves à présenter. « Mais ce n'est pas une tâche facile d'enquêter sur le mouvement Gülen. C'est une organisation très secrète. »

Photo Petros Karadjias, Associated Press

La vie a rapidement repris son cours à Istanbul après le coup d’État avorté du 15 juillet, mais les résidants notent que la mégapole, abandonnée tant par les vacanciers turcs que par les touristes, est beaucoup plus tranquille qu’à l’habitude.