Cinq jours après l'attentat de Nice, la France s'apprête à prolonger une nouvelle fois l'état d'urgence, dans un climat politique marqué par la prochaine présidentielle et envenimé par les accusations de laxisme de l'opposition en matière d'antiterrorisme.

Prévue par le gouvernement pour trois mois, la prolongation devrait être portée à six mois, jusqu'à fin janvier 2017, comme le réclamait une partie de la droite, selon le texte adopté dans l'après-midi par les députés en commission.

Ce régime qui facilite les perquisitions et les assignations à résidence est en vigueur depuis les attaques jihadistes du 13 novembre à Paris. C'est la première fois depuis la guerre d'Algérie (1954-1962), où ce régime d'exception avait prévalu pendant près de huit mois, que l'état d'urgence dure si longtemps en France.

«Les terroristes veulent nous diviser, nous séparer, nous monter les uns contre les autres», a déclaré mardi le président socialiste François Hollande lors d'une visite au Portugal. «Il y a un devoir qui m'anime: que nous soyons unis, rassemblés, capables de réagir comme il convient avec la force nécessaire», a-t-il ajouté.

Le débat mardi soir devant les députés et mercredi devant les sénateurs pourrait s'avérer tendu, tant l'opposition de droite ne cesse depuis le carnage du 14 juillet à Nice de critiquer l'exécutif socialiste.

Elle a réclamé lundi soir une commission d'enquête parlementaire sur la tragédie niçoise.

Le parti Les Républicains de l'ex-président Nicolas Sarkozy est favorable à la prolongation de l'état d'urgence, mais a posé ses conditions: au moins six mois de plus et un durcissement des mesures coercitives prévues dans ce cadre.

«Dès lors qu'il y a eu une attaque dont nous ne savons pas si elle peut donner lieu à des répliques (...) ma responsabilité et celle du Parlement c'est de prolonger l'état d'urgence, pour trois mois, même si je suis ouvert pour aller jusqu'à trois mois de plus», a déclaré M. Hollande.

Seront également réintégrées dans l'état d'urgence la possibilité de perquisitions administratives à toute heure du jour ou de la nuit sans l'aval d'un juge, ainsi que celle d'exploiter les données des ordinateurs et téléphones saisis.

L'affrontement pourrait se focaliser sur les exigences de la droite d'un arsenal encore plus répressif, avec notamment des centres de rétention à titre préventif pour les personnes suspectées de radicalisation islamiste.

«On ne peut pas enfermer des gens sur une suspicion, ou sur la suspicion d'une suspicion», a écarté M. Le Guen, dénonçant une proposition allant «au-delà de la ligne rouge» qui est «la fin de l'état de droit».

Présidentielle en ligne de mire

L'attentat de Nice est la troisième tuerie de masse en France depuis janvier 2015. À neuf mois de la présidentielle, il a envenimé le climat politique, l'opposition de droite et l'extrême droite accusant le pouvoir socialiste de laxisme.

Le premier ministre Manuel Valls a été hué lundi lors d'une cérémonie à la mémoire des victimes sur les lieux du carnage, la célèbre Promenade des Anglais qui longe la Méditerranée.

La tension est exacerbée par l'approche de primaires à droite en novembre et propices à une surenchère entre les principaux rivaux, l'ancien Premier ministre Alain Juppé, favori du scrutin, et M. Sarkozy.

En fauchant avec son camion la foule venue célébrer la fête nationale, Mohamed Lahouaiej Boulhel, Tunisien de 31 ans, a tué 84 personnes et en a blessé plus de 300 autres, dont 19 étaient toujours entre la vie et la mort lundi soir.

Parmi les victimes figurent 38 étrangers venant de 19 pays, selon le ministère français des Affaires étrangères. Une «trentaine» d'entre elles sont des musulmans, majoritairement des Franco-Tunisiens, selon un responsable de la communauté musulmane de la région niçoise.

Les enquêteurs ont confirmé «le caractère prémédité» de l'attentat, «pensé et préparé» par Mohamed Lahouaiej Boulhel qui avait effectué des «repérages» deux jours avant le massacre et pris, quelques heures avant, quatre égoportraits sur la Promenade des Anglais.

Malgré la revendication du groupe Etat islamique (EI), «aucun élément de l'enquête ne démontre à ce stade une allégeance de Mohamed Lahouaiej Bouhlel à l'organisation terroriste», a déclaré lundi le procureur de Paris, François Molins. Mais le magistrat a révélé que «l'exploitation de son ordinateur illustre un intérêt certain et récent pour la mouvance jihadiste radicale».

Six personnes étaient toujours en garde à vue mardi, soupçonnées d'avoir été en contact avec le tueur ou de l'avoir aidé à se procurer un pistolet 7.65 mm utilisé contre des policiers lors de sa course meurtrière.

L'EI a revendiqué mardi une attaque à la hache commise par un réfugié afghan la veille dans un train en Allemagne, faisant cinq blessés.