Le gouvernement socialiste français a finalement autorisé mercredi une manifestation prévue jeudi à Paris à l'appel de syndicats opposés à une réforme sociale, quelques heures après avoir provoqué un tollé pour l'avoir interdite de crainte de violences.

La levée de l'interdiction, signe pour certains d'un nouveau couac d'un exécutif très impopulaire, a été annoncée par les syndicats à la mi-journée après des discussions qualifiées de « serrées » avec le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve.

Elle a été qualifiée de « victoire pour les syndicats et la démocratie » par les syndicats.

La manifestation comportera bien un défilé, comme le voulaient les syndicats, mais sur un parcours réduit de 1,6 km « proposé par le ministre de l'Intérieur », entre la place de la Bastille et les quais de la Seine, a expliqué Philippe Martinez, dirigeant du syndicat CGT (Confédération générale du travail), lors d'une conférence de presse.

Le ministre de l'Intérieur a néanmoins mis en garde les manifestants : « Aucun débordement, aucune violence, ne sera toléré ».

Pour tenter de déminer les critiques sur la volte-face du gouvernement, laissant entrevoir des désaccords au sommet de l'État, le premier ministre Manuel Valls a assuré que « tout a été fait ensemble », avec le président François Hollande et M. Cazeneuve pour que cette manifestation puisse se tenir.

Le chef du gouvernement répondait ainsi à ceux qui affirment qu'il a poussé en faveur de l'interdiction sans le plein soutien de MM. Hollande et Cazeneuve.

« On n'y comprend plus rien. (...) Il n'y a plus de gouvernement, c'est une roue de la fortune pour les Français, on ne sait pas sur quoi on va s'arrêter », a ironisé la députée de droite Nathalie Kosciusko-Morizet.

L'interdiction, si elle avait été maintenue, aurait été une première depuis des décennies pour une manifestation sociale.

La menace d'interdiction était brandie depuis plusieurs jours par MM. Hollande et Valls après des incidents violents qui ont entaché une précédente manifestation le 14 juin en marge du cortège syndical. Bernard Cazeneuve avait demandé aux syndicats d'organiser un rassemblement statique, jugé plus facile à contrôler, ce que les syndicats ont refusé catégoriquement.

L'annonce en début de matinée de l'interdiction par un communiqué du préfet de police de Paris - chargé du maintien de l'ordre dans la capitale - avait provoqué un tollé.

« Faute historique »

« Je considère, et je pèse vraiment mes mots, que c'est une faute historique », avait réagi le député socialiste Christian Paul, chef de file des « frondeurs » du PS opposés à la politique sociale du gouvernement.

Les élus communistes avaient dénoncé « un terrible aveu de faiblesse » et demandé la suspension du débat parlementaire sur le projet de réforme du droit du travail qui suscite la fronde syndicale.

Actuellement examiné au Sénat, ce projet controversé censé donner plus de flexibilité au marché du travail et favoriser l'embauche, mais jugé trop libéral par une partie de la gauche n'a été adopté à l'Assemblée nationale que par une procédure sans vote, peu fréquemment utilisée.

La mesure d'interdiction avait été diversement commentée à droite : saluée par l'ancien premier ministre François Fillon, elle avait été jugée par anticipation « pas raisonnable » par l'ex-président Nicolas Sarkozy. Tous deux ont des ambitions présidentielles pour l'élection de 2017.

La présidente du parti d'extrême droite Front national, Marine Le Pen, a dénoncé « une atteinte grave à la démocratie ».

Après les violences du 14 juin, le ton s'était nettement durci entre gouvernement et syndicats.

Ce jour-là, plusieurs centaines de personnes, en marge du cortège syndical de plusieurs dizaines de milliers de manifestants, s'en étaient prises violemment aux forces de l'ordre et s'étaient livrées à des dégradations sur des banques, des commerces et des bâtiments publics, dont un hôpital pour enfants.

Des violences avaient aussi entaché de précédentes manifestations organisées depuis trois mois contre cette réforme.

Mardi, M. Cazeneuve en avait appelé « à la responsabilité » des syndicats, soulignant un « niveau de menace extrêmement élevé avec un niveau de sollicitation extrêmement fort depuis plusieurs semaines des forces de l'ordre ».

Les tâches du maintien de l'ordre sont en effet renforcées par l'état d'urgence instauré après les attentats du 13 novembre dernier à Paris et dans sa banlieue, et avec la tenue actuellement de l'Euro de football en France, marqué par quelques débordements de hooligans.