La nouvelle constitution turque maintiendra le caractère laïque de l'État, a assuré mercredi le premier ministre Ahmet Davutoglu, tentant ainsi de couper court aux appels pour remettre en cause un des principes cardinaux de la Turquie moderne.

«Dans la nouvelle Constitution que nous préparons, le principe de laïcité figurera pour garantir la liberté de culte des citoyens et pour que l'État soit à égale distance de toutes les confessions», a déclaré M. Davutoglu lors d'un discours public à Ankara.

«Les principes fondamentaux de l'État ne sont pas un sujet de débat pour nous», l'AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002, a-t-il insisté.

Des manifestations mardi dans les grandes villes de Turquie, dont Ankara et Istanbul, parfois violemment dispersées par la police, ont dénoncé la sortie récente du président du Parlement et membre de l'AKP, Ismail Kahraman, appelant de ses voeux une «Constitution religieuse» et à l'abandon du principe de laïcité.

«En tant que pays musulman, pourquoi devrions-nous être dans une situation où nous sommes en retrait de la religion ? Nous sommes un pays musulman (...) Avant toute autre chose, la laïcité ne doit pas figurer dans la nouvelle Constitution», a dit M. Kahraman, suscitant une levée de boucliers des milieux laïcs et de l'opposition parlementaire.

La laïcité est l'un des fondements de la République turque créée par Mustafa Kemal, dit Atatürk, en 1923, sur les ruines de l'Empire ottoman.

Malgré l'assurance donnée par le pouvoir, la déclaration de M. Kahraman a continué d'enflammer les rangs de l'opposition laïque qui a réclamé haut et fort sa démission.

Laïcité, ligne rouge

«La laïcité est notre ligne rouge», a martelé mercredi Selin Sayek Böke, la porte-parole du Parti républicain du peuple (CHP), principale force d'opposition.

Le dirigeant du Parti de l'action nationaliste (MHP, droite) Devlet Bahçeli a pour sa part déclaré que «M. Kahraman doit se rendre compte de son erreur».

L'AKP a également pris ses distances avec M. Kahraman, qui, connu pour son militantisme islamiste, avait déjà plaidé pour une islamisation du droit turc.

«Le président de notre Parlement a exprimé ses propres opinions», a ainsi réagi mardi soir le président Erdogan, en visite en Croatie. «Une telle réforme n'est pas à l'ordre du jour», a renchéri Mustafa Sentop, influent député de l'AKP.

Toutefois, l'éditorialiste progouvernemental Abdulkadir Selvi a affirmé dans sa colonne du journal Hürriyet que même si une «Constitution religieuse» n'est pas d'actualité, une possible «référence à la religion musulmane et à dieu est en cours de débat» parmi les cadres de l'AKP.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, ce parti est accusé par ses détracteurs de vouloir islamiser la société turque. Il a libéralisé le port du voile islamique, autrefois strictement interdit dans la fonction publique et les universités.

Il s'est aussi illustré avec des mesures controversées contre la consommation et la vente d'alcool, banni par l'islam.

La réforme constitutionnelle est un projet du président Erdogan qui a essentiellement pour but de faire passer la Turquie d'un régime parlementaire à un régime de type présidentiel afin de concentrer tous les pouvoirs entre ses mains.

En l'absence totale d'un consensus à l'Assemblée nationale, l'AKP a décidé de rédiger seul un projet de loi fondamentale censée être plus libérale et de le présenter à l'opinion publique.

L'AKP, qui dispose de 317 des 550 sièges parlementaires, doit réunir 330 voix pour obtenir la tenue d'un référendum constitutionnel, ce qui suppose donc le ralliement d'une partie de l'opposition, hostile à une présidentialisation du régime.

La Constitution actuelle, rédigée sous l'influence de la junte militaire qui a pris le pouvoir en 1980 en Turquie, prévoit qu'aucune réforme constitutionnelle ne peut porter atteinte à un certain nombre de principes, dont la laïcité.