L'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo est plongé dans une nouvelle controverse en raison de la teneur d'un éditorial publié dans la foulée des attentats de Bruxelles pour explorer les racines du terrorisme islamiste.

Le directeur de la publication, Laurent Sourisseau, dit « Riss », écrit dans le texte controversé que les attentats en question sont « la partie immergée de l'iceberg » et marquent « la dernière phase d'un processus enclenché depuis longtemps et à grande échelle ».

L'auteur, qui a été blessé lors de l'attaque ciblant l'hebdomadaire l'année dernière à Paris, affirme que la « terreur » est en fait l'aboutissement logique d'un climat de « crainte » et de « peur » dans lequel toute critique de l'islam est progressivement écartée comme une inacceptable manifestation de xénophobie.

« Il n'y a pas de terrorisme possible sans l'établissement d'une peur silencieuse généralisée », selon le directeur de Charlie Hebdo.

Le silence exigé devant une femme qui porte le voile ou un boulanger qui refuse par conviction religieuse de servir du jambon force l'adaptation de la population et prépare la voie, ultimement, à l'action de jeunes radicaux voulant décourager définitivement toute critique ou réflexion, avance-t-il.

Le texte daté du 30 mars, qui peut être consulté gratuitement en anglais sur le site de Charlie Hebdo mais payant en français, a suscité l'indignation de l'écrivain nigérian-américain Teju Cole, qui vit à Brooklyn.

La publication française, a-t-il écrit sur sa page Facebook il y a quelques jours, laisse « tomber le masque » de la satire par cet éditorial « raciste » et affiche ouvertement sa volonté de faire preuve de discrimination « envers l'ensemble des musulmans » sans être dénoncé. Ses dirigeants, ajoute M. Cole, veulent que leur « haine soit reconnue comme du courage ».

L'auteur n'en est pas à sa première charge contre Charlie Hebdo, puisqu'il figure parmi un groupe d'écrivains qui avaient vivement protesté l'année dernière contre la décision du PEN club de remettre un prix à l'hebdomadaire pour souligner son rôle dans la défense de la liberté d'expression.

Ni M. Sourisseau ni M. Cole n'ont répondu hier aux demandes d'entrevue de La Presse relativement à la polémique, qui survient alors que le débat sur le terrorisme islamiste et les causes de la radicalisation continue de plus belle.

LE FRANÇAIS, FACTEUR DE RADICALISATION ?

La revue Foreign Affairs a publié récemment une étude de deux chercheurs de la Brookings Institution qui ont exploré les facteurs les plus susceptibles de prédire si les jeunes musulmans sunnites d'un pays sont susceptibles de se radicaliser et de partir combattre à l'étranger pour des organisations extrémistes.

Christopher Meserole et William McCants ont déterminé que le fait d'avoir le français comme langue nationale serait l'indicateur le plus fiable à ce sujet.

« Bien que ça puisse paraître étrange, quatre des cinq pays avec les taux de radicalisation les plus élevés au monde sont francophones, incluant les deux plus importants en Europe », écrivent les auteurs en évoquant la France et la Belgique.

Selon eux, ce serait en fait la « culture politique française », et plus particulièrement l'attitude préconisée en matière de défense de la laïcité, qui serait en cause.

L'approche française est « plus agressive » par exemple que celle de la Grande-Bretagne et entraîne des restrictions plus importantes pour les minorités religieuses, avancent les chercheurs, qui ciblent aussi le niveau d'urbanisation et le taux de chômage chez les jeunes comme des indicateurs-clés.

« Nos conclusions initiales ne signifient aucunement que les pays francophones sont responsables des attaques horribles qui sont survenues récemment - aucun pays ne mérite que ses civils soient tués, quelles que soient les motivations des attaquants. Mais l'ampleur de la violence et de la peur qu'elles engendrent nous obligent à explorer ces motivations au-delà des explications toutes faites », écrivent les auteurs.