En avril 1916, une poignée de nationalistes irlandais s'est soulevée contre l'armée anglaise à Dublin, lors d'une tentative avortée de se séparer du Royaume-Uni. La révolte fut réprimée dans le sang, avec l'exécution de ses principaux leaders.

Cent ans plus tard, l'insurrection de Pâques (Easter Rising) n'a pas été oubliée au pays de la Guinness.

Ce week-end et durant les semaines à venir, cérémonies, messes et défilés se dérouleront partout en Irlande - tant celle du Nord que celle du Sud - pour rappeler l'importance historique de ces révolutionnaires, considérés aujourd'hui comme les pionniers de l'indépendance irlandaise - finalement obtenue en 1922 par la République irlandaise... qui avait alors laissé l'Irlande du Nord au Royaume-Uni.

Certains craignent que les festivités ne ravivent les divisions politiques, notamment en Irlande du Nord. Mais selon Gail McElroy, professeure de science politique au Trinity College de Dublin, cette éventualité est peu probable. 

À son avis, les célébrations seront beaucoup moins passionnées qu'en 1966, lors du 50e anniversaire, alors que le mouvement républicain était en ébullition et que les « troubles » couvaient en Irlande du Nord.

« C'est un événement intéressant du point de vue historique, mais je ne crois pas que le citoyen moyen se sente particulièrement impliqué cette fois », affirme la professeure.

« Je suppose que les gens vont assister aux défilés, mais il ne faut pas y voir une quelconque renaissance nationaliste. Ce sera absolument absent des commémorations. »

La raison en est simple, dit-elle : les temps ont changé.

« 1916 appartient à un autre monde. L'Irlande s'est modernisée, éduquée, mondialisée. Elle a pris sa place sur la scène internationale. C'est aujourd'hui une société cosmopolite, où l'on n'a plus besoin d'être Blanc et catholique pour se sentir Irlandais. Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. »

Professeur de politique irlandaise à l'Université Queens, à Belfast, Lord Paul Bew va dans le même sens, à quelques nuances près.

Selon lui, ce centenaire serait plutôt une affaire de « sentiments partagés ».

« L'ambiance est à l'affirmation [nationale], mais pas sans ambiguïté, explique le professeur. Et la raison de cette ambiguïté est que l'Irlande moderne n'est pas l'endroit que les hommes de 1916 avaient envisagé. Ces gens prônaient une idéologie catholique nationaliste, alors que l'Irlande actuelle est portée sur le sociolibéralisme européen.

« D'un autre côté, l'Irlande moderne est jusqu'à un certain point le produit de 1916. Il y a donc un double sens, et c'est pourquoi le gouvernement irlandais encourage les débats autour de cet événement historique. »

Sinn Fein, voix de l'opposition

Ambiguïté ou non, Paul Bew n'hésite pas à dire que le rêve républicain n'est plus ce qu'il était. À ses yeux, le résultat des récentes élections irlandaises, fin février, en est la preuve.

Il rappelle que « 86 % des gens n'ont pas voté pour le Sinn Fein [parti nationaliste de gauche]. Cela dit tout ».

Ce score décevant, qui se traduit par 23 sièges sur 158 à l'Oireachtas (le Parlement irlandais) s'expliquerait notamment par le fait que le parti, présent dans les deux Irlandes, a longtemps été associé à l'IRA (Armée républicaine irlandaise), qui était le bras armé des nationalistes.

« Ils n'ont pas réussi à créer un lien avec les classes moyennes, ni avec les gens plus âgés, qui voient encore ce parti comme un héritier des troubles en Irlande du Nord », résume Gail McElroy.

Élu municipal du Sinn Fein à Dublin, Mícheál Mac Donncha perçoit les choses autrement : les 25 sièges obtenus par son parti représentent presque le double des 14 sièges acquis en 2011, ce qui est, selon lui, une avancée considérable.

« Notre parti a grandi de façon constante depuis le début du processus de paix, fait valoir le politicien, récemment de passage à Montréal. Les gens ont désormais une vision plus large de ce que nous sommes. »

« Bien que la réunification de l'Irlande soit fondamentale pour nous, notre programme politique va bien au-delà du drapeau. C'est le genre de choses dont nous voulons discuter pendant ce centenaire. »

Soulignons que la République irlandaise est actuellement dans une impasse politique. Les deux partis principaux, le Fine Gael et le Fianna Fàll, sont arrivés presque coude à coude aux dernières élections, avec respectivement 50 et 44 sièges, loin des 79 requis pour former la majorité.

Il serait étonnant - mais pas improbable - que ces deux partis rivaux, adversaires depuis la guerre civile irlandaise (1922-1923) en dépit de leurs programmes similaires, s'unissent pour gouverner. Mais s'il devait y avoir une coalition, le Sinn Fein deviendrait l'opposition officielle, une première.

Pour le moment, l'Irlande n'a pas de gouvernement. 

La situation devrait se préciser à la mi-avril, les jeux sont ouverts. C'est en soi « plus intéressant que les commémorations de 1916 », conclut Paul Bew.

Des Pâques « sanglantes »

Chapitre marquant de l'histoire irlandaise, les « Pâques sanglantes » débutent le 24 avril 1916, lundi de Pâques. Une petite armée de 1600 nationalistes irlandais, menée par Patrick Pearse et James Connolly, envahit Dublin et proclame la création de la République irlandaise. 

Le Royaume-Uni, qui entend bien conserver l'Irlande, contre-attaque dès le lendemain avec 20 000 hommes. Mal équipés et mal organisés, les insurgés plient après six jours d'une bataille inégale, qui aura fait au total 400 morts (dont 318 civils) et 2600 blessés. 

Alors qu'ils étaient au départ plutôt mal vus par la population, les leaders de la rébellion deviendront des martyrs de la cause républicaine après avoir été exécutés brutalement par l'armée britannique, ravivant ainsi la flamme nationaliste. Six ans plus tard, la République irlandaise verra finalement le jour. 

Aujourd'hui, la fameuse proclamation de 1916 est devenue le symbole d'un certain idéal social irlandais. L'un des rares exemplaires encore en circulation a été vendu l'an dernier près d'un demi-million de dollars. 

Comme ici ?

Faut-il comparer l'insurrection de Pâques avec la révolte de nos Patriotes ? Pas tout à fait, souligne Julie Guyot, professeure d'Histoire au cégep Édouard-Montpetit.  « La véritable origine du républicanisme irlandais, c'est la rébellion de 1798. Ce mouvement de réforme constitutionnelle a duré 10 ans et a débouché sur une insurrection. C'est qui se rapproche le plus de nos rébellions à nous », conclut l'historienne, qui lance ces jours-ci un livre sur la question, Les insoumis de l'Empire, aux éditions du Septentrion.