Un tabou est en passe de tomber dans l'Allemagne d'après-guerre suite au succès retentissant dimanche lors d'élections régionales du mouvement AfD, qui confirme l'enracinement de la droite populiste dans un pays faisant jusqu'ici exception en Europe.

À la faveur de la crise migratoire «nous assistons à une certaine forme de normalisation par rapport aux mouvements populistes de droite ailleurs en Europe, même si dans le cas de l'Allemagne, où on ne peut pas faire abstraction du passé, cela prend un caractère forcément particulier», indique à l'AFP Andreas Rödder, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Mayence.

Le mouvement Alternative pour l'Allemagne (AfD) a recueilli entre 12,4% et 24,3% des voix lors des trois scrutins pour les parlements régionaux qui se tenaient dimanche, selon les projections, du jamais vu dans une élection de ce type dans l'Allemagne d'après-guerre. Dans deux États l'AfD devance le parti social-démocrate.

Ce n'est pas la première fois que le pays depuis 1945 est confrontée à une poussée de telles formations.

Ce fut le cas dans les années 1960 avec les ultra-nationalistes du NPD, puis à la fin des années 1980 et au début des années 1990 avec les Republikaner, ou encore à la fin des années 1990 avec la DVU.

Mais à chaque fois, ces succès se sont révélés éphémères, les Unions chrétiennes CDU et CSU parvenant finalement à atteindre l'objectif historique qu'elle s'étaient fixé: empêcher, en ratissant très large, qu'un parti ne s'installe à leur droite.

«Vivre avec la xénophobie»

Les enquêtes d'opinion montrent depuis longtemps qu'un potentiel proche de celui d'autres pays européens existe en Allemagne pour un parti populiste xénophobe. Mais le passé nazi du pays et le sentiment de culpabilité encore très répandu ont agi comme un frein en comparaison des voisins comme l'Autriche, la Suisse ou la France par exemple.

Avec l'AfD, et en raison du mécontentement provoqué par l'arrivée d'un million de migrants en 2015 dans le pays, le sentiment gagne du terrain qu'une césure est en train de se produire.

Au vu des sondages actuels le parti pourrait entrer au Bundestag, la chambre fédérale des députés, lors des élections législatives en 2017, ce qui serait sans précédent pour un mouvement de ce type, que le ministre des Finances Wolfgang Schäuble a qualifié récemment de «honte pour l'Allemagne».

«Jusqu'ici les partis populistes de droite ou d'extrême droite étaient politiquement "tabouisés", considérés comme un corps étranger dans la sphère politique», souligne le politologue allemand Wolfgang Merkel dans le quotidien Tagesspiegel.

À ses yeux, le tabou pourrait désormais tomber. «Dans ce cas, nous devrons vivre avec l'AfD comme la France avec le Front National ou la Suisse avec l'UDC et être confrontés à la xénophobie au quotidien dans le discours politique», redoute-t-il.

La progression du mouvement dans l'opinion est spectaculaire depuis sa création en 2013 sous l'impulsion de transfuges du parti conservateur CDU d'Angela Merkel. Grâce à ses succès de dimanche, il va être désormais représenté dans la moitié des 16 parlements régionaux du pays.

AfD, un enfant de Merkel?

Après avoir fait florès sur l'euroscepticisme et la dénonciation de l'aide des contribuables allemands aux pays les plus endettés de la zone euro, il prospère désormais comme parti anti-immigrés en jouant sur les craintes alimentées par la crise des réfugiés.

À l'origine surtout ancrée régionalement dans l'est de l'Allemagne, «l'AfD devient un parti allemand national», souligne le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Une progression qui pour certains est la conséquence directe de la stratégie politique de recentrage de la CDU opérée par Angela Merkel depuis 10 ans. Elle a eu pour effet d'asphyxier l'opposition sociale-démocrate mais aussi de frustrer l'aile droite de son parti.

«Avec la "social-démocratisation" et donc un glissement vers la gauche de la CDU opéré sous le mandat de la chancelière, il n'est plus aisé pour les chrétiens-démocrates de réussir le grand écart», souligne Bernhard Wessels, politologue de l'université Humbold à Berlin.

Le quotidien conservateur Die Welt va même plus loin: «l'AfD est un enfant de Merkel» car la CDU «a renoncé à son identité».