Au lendemain d'une catastrophe minière ayant fait 36 morts dans le Grand Nord russe, les proches des victimes accusent la direction de la mine d'avoir fermé les yeux sur les risques encourus par les mineurs en raison d'un niveau de méthane élevé.

« Mon père revenait chaque jour à la maison en me disant que le niveau de méthane était trop élevé », raconte sur les réseaux sociaux Daria, fille de Viatcheslav Triassoukho, l'un des mineurs tués jeudi. « Mais la direction de la mine a fermé les yeux et laissé les mineurs travailler malgré tout », assure-t-elle.

Jeudi, deux explosions dans la mine Severnaïa, située à 100 km au nord du cercle polaire, près de la ville de Vorkouta, ont provoqué la mort de quatre personnes. Vingt-six mineurs étaient alors pris au piège.

Dimanche, un nouveau coup de grisou a tué six personnes, dont cinq secouristes, partis à la recherche des disparus, finalement déclarés morts peu après.

Si les causes de cet accident, le plus meurtrier du genre en Russie depuis 2010, n'ont pas encore été déterminées officiellement, les proches des victimes assurent que le niveau de méthane, dont la concentration peut être explosive, dépassait la norme acceptable de sécurité.

Mikhaïl Momot, 32 ans, était en congé ce jour-là, mais son frère, Konstantin, 42 ans, fait partie des victimes.

« Il y a systématiquement une différence entre le niveau de méthane enregistré par les capteurs de la mine et celui qu'enregistrent nos capteurs individuels. La direction ne pouvait pas l'ignorer », affirme-t-il à l'AFP.

« D'habitude, lorsque le niveau de méthane est trop élevé, nous arrêtons », poursuit le mineur. « Et depuis février, les gars ont enregistré plusieurs fois un niveau anormal. Mais la direction leur dit en général ''Vous ne voulez pas y aller? Alors démissionnez'' », raconte-t-il.

« Trois morts par million de tonnes de charbon »

Mineur à Vorkouta, Konstantin, a dû descendre lundi dans un autre puits alors que le niveau de concentration de méthane y était plus élevé que la norme autorisée.

« J'ai peur, mais que faire? Il faut bien que je nourrisse ma famille », confie-t-il, refusant de donner son nom par peur d'être licencié.

Pour le député municipal Konstantin Pimenov, lui-même mineur pendant 28 ans, ses anciens camarades « continuent de creuser » car « leurs salaires sont indexés sur le nombre de tonnes de charbon extraites par la mine ».

« Les gens cachent les capteurs de gaz ou les désactivent, avec l'accord tacite de la direction », accuse-t-il.

Tous savent que les niveaux de méthane sont supérieurs à la normale, mais ils se taisent pour ne pas perdre leur emploi », dit-il à l'AFP, rappelant que la ville de Vorkouta compte actuellement 6000 mineurs, contre 17 000 avant la chute de l'URSS.

Tristement célèbre pour ses goulags staliniens, dont les détenus travaillaient dans les mines, la ville de Vorkouta a vu en dix ans 86 mineurs tués par des accidents.

Pour l'extraction d'un million de tonnes de charbon, « trois mineurs meurent en moyenne », soit trois fois plus qu'à l'époque soviétique, assure le député.

Du « sentimentalisme » selon la direction

« Ce sont des clichés et du sentimentalisme », rétorque le directeur technique de la mine, Denis Païkine, cité par le service de presse de Vorkoutaougol.

« L'époque où les mineurs cachaient les capteurs [...] est depuis longtemps révolue. Aujourd'hui, personne ne peut forcer les mineurs à descendre dans la mine s'il y a un risque », a-t-il objecté.

« Je n'ai pas vu une seule fois les mineurs cacher les capteurs de gaz », renchérit Gueorgui, 49 ans, qui travaille depuis neuf ans à Severnaïa.

Au lendemain de la catastrophe, le président Vladimir Poutine a demandé la création d'une commission pour déterminer les causes de l'accident.

En 2013, une explosion avait déjà fait 18 morts dans la mine de Vorkoutinskaïa qui, comme Severnaïa, fait partie du complexe minier de Vorkoutaougol, propriété du sidérurgiste russe Severstal.

Les familles des victimes recevront entre un et cinq millions de roubles (environ de 17 860 à 89 315 dollars), ont promis les autorités, selon le journal Moskovski Komsomolets.