La Commission européenne a appelé mercredi Varsovie à respecter l'État de droit, suite à l'adoption par les conservateurs de Jaroslaw Kaczynski d'une loi sur le Tribunal constitutionnel dénoncée par l'opposition polonaise et par Lech Walesa comme atteinte à la démocratie.

La Commission a demandé «que cette loi ne soit pas adoptée finalement, ou au moins qu'elle n'entre pas en vigueur avant que toutes les questions concernant son impact sur l'indépendance et le fonctionnement du Tribunal constitutionnel aient été pleinement et correctement évaluées», a écrit son vice-président Frans Timmermans dans une lettre aux autorités polonaises, consultée par l'AFP.

Le ministre polonais de la Justice Zbigniew Ziobro a rétorqué que M. Timmermans avait «été induit en erreur» par l'opposition polonaise.

«Je le déplore et j'en discuterais volontiers avec lui si j'en ai l'occasion, pour lui expliquer les circonstances» de l'adoption de la loi controversée, a-t-il déclaré à l'agence polonaise PAP.

La loi, débattue dans la précipitation au Parlement, a été approuvée mardi soir par 235 députés du parti conservateur Droit et Justice (PiS), contre 181 et quatre abstentions.

Elle introduit notamment la règle de la majorité qualifiée de deux tiers pour les décisions du Tribunal, obligé aussi de réunir, pour pouvoir statuer dans les cas de grande importance, 13 des 15 juges que compte cette cour, au lieu de neuf auparavant.

Nouvel épisode dans le bras de fer entre le Tribunal, chargé de veiller à la constitutionnalité des lois, et le parti de M. Kaczynski qui affirme ainsi éliminer un obstacle dans la mise en oeuvre de ses réformes, cette loi a donné lieu à un débat houleux au Parlement et suscité de vives critiques de la Cour suprême et de plusieurs organisations non-gouvernementales dont Amnesty International.

L'ancien président polonais Lech Walesa est sorti de ses gonds, appelant mercredi à un référendum sur l'organisation d'élections anticipées.

«Ce gouvernement agit contre la Pologne, contre nos acquis, contre la liberté, contre la démocratie. Sans même dire qu'il nous ridiculise dans le monde» entier, a déclaré à une radio le chef historique du mouvement Solidarité.

«Il faut démontrer que deux tiers (NDLR des Polonais) et même plus sont opposés à ce genre de pouvoir et abréger le mandat» de ce Parlement, élu il y a deux mois, dans lequel le PiS dispose de la majorité absolue, a-t-il ajouté, manifestement énervé.

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (HCDH) a exprimé mercredi sa «préoccupation» face aux récents événements en Pologne.

«Il est très regrettable que la majorité actuelle insiste pour faire adopter cette réforme par le Parlement aussi vite que possible, en dépit des protestations massives et des préoccupations exprimées par des corps indépendants tels que le Conseil national de justice et des organisations polonaises (de défense) des droits de l'homme», a déclaré Jan Jarab, le chef du bureau régional pour l'Europe du HCDH.

Un appel au président 

Selon la présidente de la Cour suprême de Pologne, Malgorzata Gersdorf, la nouvelle loi «s'ingère dans l'indépendance» du Tribunal constitutionnel et vise à «entraver, voire empêcher» son fonctionnement.

Elle «pervertit le sens de la fonction du Tribunal constitutionnel dans un État démocratique de droit».

Le Conseil national de justice (KRS) a lancé mercredi un appel au président Andrzej Duda, pourtant proche du parti PiS, à ne pas promulguer la nouvelle loi, mais de la soumettre... au Tribunal constitutionnel pour décider de sa conformité avec la loi fondamentale.

Les conservateurs de M. Kaczynski ont continué à défendre leur loi, débattue mercredi au Sénat où il sont également majoritaires.

«Nous avons prouvé que nous sommes capables d'agir de manière constructive, nous nous approchons de la fin de ce différend inutile sur le Tribunal constitutionnel», a déclaré aux journalistes un vice-ministre de la Justice, Patryk Jaki.

Le PiS avait déjà placé au sein de ce Tribunal cinq juges de son choix, suivant une procédure controversée, ce qui devrait lui permettre de bloquer facilement les avis défavorables du Tribunal.

La nouvelle loi introduit notamment des délais obligatoires de trois à six mois entre le dépôt d'une requête et la décision du Tribunal constitutionnel (14 jours jusqu'ici), ce qui «annonce d'immenses retards potentiels et, en fait, la paralysie» du Tribunal, estime la Cour suprême.

Pour l'opposition polonaise toutes tendances confondues, les nouvelles autorités veulent tout simplement s'affranchir de tout contrôle indépendant.