Dimanche, pour la première fois de son histoire, l'extrême droite portée par le Front national pourrait se retrouver aux commandes de plusieurs des 13 régions françaises. Comment le parti jadis infréquentable de Jean-Marie Le Pen a-t-il pu réussir une telle percée?

Elles sont femmes, elles sont blondes, elles appartiennent toutes deux à la dynastie Le Pen, tandis que leurs prénoms saluent Marianne, figure allégorique de la République française. Marine Le Pen, 47 ans, avocate de formation, fille de Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front National dont elle est devenue la présidente en 2011, est la tante de Marion Maréchal-Le Pen, 26 ans, qui marche dans ses traces. Elles forment un tandem redoutable. Pour les présentes régionales, elles sont arrivées en avant au premier tour dans les régions de Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Provence-Alpes-Côte d'Azur. On se plaît à comparer leurs discours, disant parfois que Marion est plus conservatrice que sa tante, alors que pour les spécialistes, ces discours sont complémentaires et adaptés aux réalités de leurs régions. 

« Marine Le Pen a un discours un peu plus social, souverainiste dans une perspective nationaliste », dit Sylvain Crépon, de l'Université François-Rabelais de Tours, qui a codirigé l'essai Les faux-semblants du Front national. « Marion Maréchal-Le Pen assume un catholicisme traditionaliste avec les positions qui vont avec - elle était au premier rang de la manif contre le mariage pour tous. Marine vit dans une famille recomposée sans être mariée, ce qui évacue l'image d'un parti conservateur plusieurs fois allié aux catholiques intégristes. »

« Je pense que Marine a contribué à adoucir l'image sulfureuse du FN, surtout chez une catégorie particulière d'électeurs : les femmes. Au contraire de son père qui, en plus des saillies racistes, antisémites et homophobes, avait aussi des saillies sexistes qui pouvaient rebuter l'électorat féminin », ajoute M. Crépon.

Par contre, note le politiste Joël Gombin, « elles appartiennent à deux générations différentes, de la même manière que Marine n'était pas de la même génération que son père et n'avait pas la même vision du monde ». 

« Il en va de même pour Marion Maréchal-Le Pen, qui incarne extrêmement bien une certaine jeunesse aujourd'hui qui renoue avec des formes de radicalité de droite et de conservatisme radical, notamment dans les marges de l'Église catholique », dit le coauteur du livre Front national, mutations de l'extrême droite française. « Le poids des associations catholiques n'existe pas ou très peu chez Marine Le Pen. On insiste sur des différences idéologiques, mais à mon avis, s'il y a des différences de sensibilités, je crois que la principale différence tient à des situations stratégiques. »

LE PRESTIGE DU NOM

La tante et la nièce n'en sont pas au même point dans leurs carrières et doivent composer avec les réalités propres à leurs régions. « Marine Le Pen ambitionne clairement la présidence de la République, alors que ce n'est pas le cas pour Marion », poursuit Joël Gombin. 

Dans sa région, Marion Maréchal-Le Pen doit rassembler les forces de droite en adoptant un discours compatible avec toutes. Quant à Marine Le Pen, elle doit consolider sa base électorale pour espérer se rendre à la présidentielle, notamment en misant sur les enjeux identitaires. 

« Le jour où Marine va commencer à penser au second tour des élections présidentielles, en particulier si elle se retrouve devant un candidat de gauche, elle devra adopter une stratégie qui se rapproche de Marion en favorisant un report des votes de droite sur elle. »

Pour ces observateurs, il ne faut pas sous-estimer l'influence du nom Le Pen, qui donne aux deux héritières une légitimité au sein du parti, malgré l'exclusion de Jean-Marie Le Pen cet été pour des propos polémiques dont il a fait une spécialité pendant toute sa carrière.

« Marine porte le nom du père qui a favorisé son ascension à l'intérieur du parti, mais en même temps, elle bénéficie d'une image fondamentalement différente, qui a participé au renouveau d'une perception du FN, à sa "dédiabolisation", dit Sylvain Crépon. Marion, elle, portait uniquement le nom Maréchal à ses débuts en politique. « Au fur et à mesure de son ascension, elle a accolé Le Pen, parce qu'elle a compris que c'était un gage de légitimité et d'aura politique. Elle intègre le grand récit politico-familial de l'extrême droite. »

« On reste dans un parti où le prestige associé au nom Le Pen est essentiel, résume Joël Gombin. « Après Marine Le Pen, Marion est la plus populaire au sein du FN. En même temps, il faut bien voir que le FN n'a que très peu de figures médiatiques à offrir... »