Hier, le président turc Recep Tayyip Erdogan a célébré la victoire de son parti lors des élections parlementaires de dimanche, déclenchées dans la controverse. Après avoir perdu la majorité en juin, le parti islamo-conservateur a récolté près de 50% du vote, s'assurant de gouverner seul pour les quatre prochaines années et faisant craindre une dérive autoritaire. Les enjeux en quatre questions et réponses.

LE RÉSULTAT DES ÉLECTIONS EST-IL SURPRENANT?

Oui, la plupart des experts et des maisons de sondage avaient prédit que le résultat serait très serré et qu'aucun parti ne l'emporterait haut la main. Ces derniers prédisaient aussi un gouvernement de coalition.

Or, le parti islamo-conservateur du président Recep Tayyip Erdogan, le Parti Justice et développement (AKP), a récolté 49,5% du vote. L'AKP obtient du coup 317 sièges, ce qui lui confère la majorité absolue au Parlement, qui compte 550 sièges, sans pour autant lui permettre de changer la constitution unilatéralement.

Pour que son parti reprenne le pouvoir, le président Erdogan avait fait le pari de relancer des élections moins de cinq mois après la tenue d'un premier scrutin au cours duquel l'AKP avait perdu la majorité qu'il détient depuis douze ans. La carte électorale démontre que l'AKP a consolidé ses soutiens dans les régions rurales du pays et dans la capitale, Ankara.

Le principal parti de l'opposition, le CHP, kémaliste, a fait bonne figure à Istanbul et sur la côte ouest du pays. Le parti prokurde, HDP, a remporté les sièges dans le sud-est du pays, majoritairement kurde.

SI L'AKP A ÉTÉ LE GRAND GAGNANT, QUI SONT LES PERDANTS?

Le principal perdant de ces élections est le MHP, un parti nationaliste de droite.

Ce dernier avait obtenu 16,3% en juin et n'a réussi à amasser que 11,9% des voix cette fois-ci. Cette chute s'explique notamment par la stratégie nationaliste concurrente mise de l'avant par l'AKP au cours de la récente campagne.

Le parti, qui faisait avancer le processus de paix avec la grande minorité kurde du pays depuis une décennie, a tourné le dos à la réconciliation et a relancé les hostilités avec les rebelles armés du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK.

«La politique de la peur a fonctionné. Erdogan a pu se positionner comme le garant de la stabilité alors que ce sont ses propres politiques qui avaient déstabilisé le pays», explique Stefan Winter, professeur d'histoire à l'Université du Québec à Montréal et expert de la Turquie.

Le DHP, parti prokurde, a aussi perdu des votes au profit de l'AKP, mais a néanmoins réussi à atteindre le seuil de 10% qui lui permet d'être représenté au Parlement.

LES ÉLECTIONS ONT-ELLES ÉTÉ JUSTES ET ÉQUITABLES?

Si peu d'irrégularités ont été décelées le jour du vote, plusieurs observateurs occidentaux ont émis de sérieuses réserves quant à la campagne électorale qui a précédé le scrutin. «La campagne a été injuste et caractérisée par trop de violence et de peur», a dit hier Andreas Gross, le chef de la délégation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (PACE), en conférence de presse hier. Il a notamment dénoncé la campagne d'intimidation lancée contre plusieurs médias d'opposition par le gouvernement sortant, allant jusqu'à l'arrestation de journalistes et la fermeture de journaux et de site web influents.

Représentant l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Ignacio Sanchez Amor en a rajouté, rappelant que des candidats de partis de l'opposition, notamment ceux du HDP, ont été attaqués physiquement et ont eu de la difficulté à faire campagne. Le président Erdogan a rejeté ces critiques du revers de la main hier. «Un parti a obtenu le pouvoir en Turquie avec 50% du vote. Ce résultat devrait être respecté par le monde entier, mais je n'ai pas vu ce genre de maturité», a dit celui qui, avant d'être élu président en 2014, a été premier ministre du pays de 2003 à 2014.

À QUOI PEUT-ON S'ATTENDRE MAINTENANT?

Selon Stefan Winter, le résultat des élections calmera le jeu puisque le gouvernement, à nouveau majoritaire, n'aura plus intérêt à jouer la carte de la division.

Depuis juin, la Turquie, frappée par deux attentats terroristes et la reprise de la guerre civile dans le sud-est du pays, vogue en pleine instabilité politique et économique.

Selon M. Winter, le président profitera de la majorité qu'a obtenue son parti au Parlement pour continuer de consolider le pouvoir entre ses mains. En principe, l'AKP aurait besoin de 330 sièges au Parlement pour modifier la constitution écrite par l'armée en 1980 et accorder plus de pouvoirs à la présidence - largement symbolique -, mais dans la pratique, le rôle du président a été transformé depuis l'élection d'Erdogan en 2014.

«Depuis un an, le palais dicte les lois et les politiques au gouvernement et au Parlement», dit M. Winter. «Erdogan a dit récemment que la loi doit refléter la situation politique du pays», ajoute l'expert, qui craint que la personnalité de l'homme fort pèse plus lourd dans la balance que les institutions démocratiques du pays.