Après six mois de désaccords, le mouvement indépendantiste catalan s'est rassemblé en vue des élections régionales, qu'il espère transformer en premier pas vers la sécession de la région, en dépit des avertissements du gouvernement espagnol et des efforts du roi.

Ces derniers ont soufflé le chaud et le froid. Le froid, avec le chef du gouvernement conservateur Mariano Rajoy. «Il n'y aura pas d'indépendance de la Catalogne», a-t-il déclaré jeudi, catégorique, en commentant la création d'une liste unique pro-indépendance.

Le chaud, avec le roi Felipe VI, qui au cours de sa première année de règne a multiplié les voyages dans la riche région du nord-est de l'Espagne, comptant 7,5 millions d'habitants et représentant 20% du produit intérieur brut du pays.

Vendredi, il a reçu au palais royal le président catalan indépendantiste Artur Mas pour un entretien protocolaire d'une heure et quart, dont le contenu n'a pas filtré.

«Je viens en paix», a simplement déclaré le dirigeant catalan, pince-sans-rire, à son arrivée au palais de la Zarzuela.

Trois jours plus tôt, il avait fait un pas de plus vers la rupture avec l'Espagne, en formant une coalition avec le premier parti d'opposition de la région, la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), également indépendantiste.

Faire barrage à Podemos

Brouillés en raison de leurs divergences idéologiques, le parti d'Artur Mas Convergence démocratique de Catalogne (CDC, centre droit) et ERC ont finalement décidé mardi de s'unir pour les élections régionales du 27 septembre, dont ils veulent faire un plesbicite sur l'indépendance.

Cette candidature unifiée, avec une liste menée par les dirigeantes des associations à l'origine des manifestations en faveur de l'indépendance, vise aussi à faire barrage à Podemos.

La formation antilibérale, qui a surgi comme un coup de tonnerre dans le paysage politique espagnol depuis 2014, menace désormais le pouvoir nationaliste en Catalogne. Podemos, opposé à l'indépendance, promet toutefois une nouvelle Constitution reconnaissant le droit de la Catalogne à décider de son avenir.

«L'émergence de Podemos inquiète», souligne Ignacio Martin Blanco, politologue et éditorialiste du quotidien conservateur ABC.

Les indépendantistes craignent que l'irruption de Podemos ne fasse passer au second plan le débat nationaliste, explique aussi l'analyste politique Josep Ramoneda. Cette peur est née lors des élections municipales du 24 mai, où une plate-forme citoyenne intégrant Podemos a ravi la mairie de Barcelone aux nationalistes, ajoute-t-il.

Pour les élections de septembre, la gauche radicale prépare une liste comparable, et attaque M. Mas pour les coupes budgétaires et les scandales de corruption au sein de son parti.

Risque d'enlisement

La menace a poussé les deux leaders indépendantistes, Artur Mas et Oriol Junqueras, le président d'ERC, à mettre de côté les désaccords qui avaient surgi depuis le référendum symbolique du 9 novembre, où presque 1,9 million de personnes avaient voté pour une séparation d'avec l'Espagne.

Depuis, le mouvement avait perdu du terrain, un sondage faisant même apparaître une majorité contre l'indépendance pour la première fois depuis juin 2011.

«La possibilité d'une défaite a augmenté la pression pour parvenir à un accord», analyse Klaus-Jürgen Nagel, politologue à l'université Pompeu Fabra de Barcelone.

La liste ne sera pas menée par Artur Mas, peu apprécié à gauche, mais par Raul Romeva, ex-eurodéputé écolo-communiste, issu d'une des formations alliées à Podemos. «L'objectif est de neutraliser Podemos», observe Ignacio Martin Blanco.

Suivent Carme Forcadell et Muriel Casals, dirigeantes d'ANC et d'Omnium, les deux organisations à l'origine des manifestations qui ont poussé Artur Mas à abandonner le nationalisme modéré pour embrasser la cause indépendantiste.

Si cette liste obtient la majorité au Parlement catalan, un ambitieux plan sera mis en oeuvre pour avancer en quelques mois vers l'indépendance, au besoin par une déclaration unilatérale.

Même si elle n'obtient pas la majorité absolue, la coalition indépendantiste semble toutefois assurée d'exercer le pouvoir. L'opposition devrait en effet être très fragmentée, avec des partis incompatibles comme Podemos et le conservateur Parti populaire (PP).

«Il y aura un gouvernement souverainiste, mais qui n'aura probablement pas le poids suffisant pour franchir le pas de l'indépendance, et on va continuer dans cette situation d'enlisement dont on n'arrive pas à sortir», prévoit M. Ramoneda.