Le samedi 4 juillet, à la veille du référendum grec sur l'austérité, le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, a proposé au premier ministre Alexis Tsipras trois mesures radicales en cas de victoire du «Oxi» (non, en grec), soit du rejet par les électeurs grecs de l'austérité et de la flexibilité du marché du travail exigées par l'Union européenne. Elles incluaient notamment l'émission d'une monnaie parallèle liée à l'euro et la réduction unilatérale de la dette grecque à l'Europe.

M. Tsipras a soumis le plan Varoufakis à quatre autres proches collaborateurs de son cabinet et un vote de ce «comité central» a été organisé en catastrophe. Le «triptyque» a été rejeté à quatre voix contre deux, selon une entrevue exclusive avec M. Varoufakis publiée lundi dernier par l'hebdomadaire britannique The New Statesman.

Le jour du vote, les Grecs ont rejeté la proposition européenne dans une proportion de 61%, comme le premier ministre Tsipras le leur avait demandé. Le lendemain, lundi, M. Varoufakis a annoncé sa démission. Et une semaine après, M. Tsipras acceptait une proposition européenne encore plus sévère que celle qui avait été rejetée par les électeurs grecs lors du référendum. Le Parlement grec a entériné l'entente mercredi dernier.

Alexis Tsipras a-t-il changé ses positions? Ou savait-il avant le référendum qu'il devrait accepter ce qu'il appelait ses électeurs à refuser? C'est la question que pose Yannis Ioannides, un économiste de l'Université Tufts qui collabore au site Greek Economists for Reform, qui regroupe des spécialistes de renom enseignant partout en Europe et aux États-Unis.

«Tsipras n'a qu'un objectif, le pouvoir, explique M. Ioannides. Il est prêt à n'importe quoi pour y arriver, pour écarter ou affaiblir l'opposition ou ses anciens alliés qui pourraient devenir des rivaux. Selon moi, il savait avant le référendum qu'il était inévitable pour la Grèce d'accepter l'entente européenne. Mais il a fait campagne pour l'Oxi afin de remporter ce référendum. Ça l'a placé dans une position politique avantageuse et il a pu faire fi des protestations de la gauche anti-austérité. C'est assez paradoxal, mais je ne vois pas comment on peut comprendre autrement les événements des deux dernières semaines.»

Cette version politique moderne de la célèbre maxime du «cadeau de Grec» («Timeo Danaos et dona ferentes», «Je crains les Grecs et leurs cadeaux», peut-on lire dans l'Énéide de Virgile, à propos du cheval de Troie) trouve un écho dans un portrait d'Alexis Tsipras publié en janvier dans le Financial Times, avant les élections qui ont porté Syriza au pouvoir.

En 1990, à l'âge de 16 ans, le jeune Tsipras, lycéen de la classe moyenne, a profité d'une grève étudiante pour se hisser au sommet du mouvement étudiant et négocier avec le gouvernement une entente qui a déçu beaucoup de militants radicaux. La grève avait été provoquée par des coupes du ministère de l'Éducation, notamment la fin de la gratuité des manuels dans les écoles publiques. Les jeunes les plus engagés voulaient une réforme en profondeur de l'éducation, pour que les étudiants n'aient notamment plus d'examens ni de notes. Alexis Tsipras, grâce à son implication dans le mouvement étudiant communiste, avait participé aux négociations avec le gouvernement et convaincu les étudiants de mettre fin à la grève en échange d'un simple retrait des coupes budgétaires.

Peu d'observateurs de la scène politique grecque pensent que M. Tsipras a manipulé l'électorat avant le référendum, ou carrément depuis son élection en janvier, en se présentant comme un héraut de l'anti-austérité pour gagner le soutien de son peuple. Mais les motifs invoqués ressemblent à une attaque ad hominem: Tsipras n'a pu être à ce point cynique parce qu'il est déconnecté de la réalité, selon plusieurs des spécialistes de Greek Economists for Reform.

«Son problème est qu'il ignore comment fonctionnent la réalité et le monde», explique Thanasis Stengos, de l'Université de Guelph, qui est l'un des éditeurs du site. D'autres économistes collaborant au site interviewés par La Presse ont aussi tenu des propos similaires, même s'ils sont unanimes à saluer son instinct politique qui l'a fait accepter l'entente de la semaine dernière.

Ron Heifetz, professeur de leadership politique à l'Université Harvard, est à peine moins cinglant. «Je viens de passer une semaine en Grèce, dit M. Heifetz. Beaucoup de gens pensent que Tsipras sait ce qu'il fait. Mais apprendre à gérer un gouvernement durant une crise n'est jamais facile, et Tsipras n'a aucune expérience en la matière. Il ne faut pas lui accorder trop de mérite pour le dénouement de la crise. S'il avait appuyé le camp du Oui au référendum, il aurait pu convaincre l'électorat.»