Mis au pouvoir en Tchétchénie par Vladimir Poutine pour y imposer la paix, Ramzan Kadyrov, ancien chef de guerre aux méthodes brutales, est devenu au cours de la dernière décennie un intouchable. Ces jours-ci cependant, le Kremlin perd patience.

Des hommes masqués se sont introduits dans le bureau du Comité contre la torture, une ONG russe renommée, et ont saccagé les lieux le mois dernier dans la capitale tchétchène, Grozny, forçant les employés à s'enfuir par la fenêtre.

Ramzan Kadyrov, le dirigeant de la Tchétchénie, petite république du Caucase russe ravagée par deux guerres entre 1994 et 2000, a défendu les vandales. Selon lui, ils avaient voulu exprimer leur désarroi quant à la mort de Djamboulat Dadaïev, un Tchétchène recherché qui avait été abattu en avril par les forces spéciales russes.

Kadyrov a prétendu que l'ONG avait provoqué cet incident puisqu'elle avait refusé d'enquêter sur la mort de Dadaïev. Dans le but, a-t-il soutenu, de faire les manchettes pour recevoir davantage de financement américain.

Ce n'est seulement qu'après une longue justification des délits commis contre l'ONG que Kadyrov, installé au pouvoir en 2007 par le président Vladimir Poutine, a mentionné l'importance du respect de la loi.

Parallèlement, à la suite de la mort de Dadaïev, Kadyrov a ordonné à ses forces spéciales de «tirer pour tuer» tout soldat russe se trouvant sans autorisation en Tchétchénie. Ce territoire fait pourtant partie intégrante de la Russie.

«Le Kremlin s'efforce de rappeler Kadyrov à l'ordre parce qu'il a gravement défié Moscou et les forces fédérales de l'ordre», explique Grigori Chvedov, rédacteur en chef de Kavkazski Ouzel, portail de nouvelles spécialisé sur le Caucase. «On voit bien que ses patrons [au Kremlin] lui ont dit quoi dire.»

Cela dit, même si Kadyrov a timidement évoqué la suprématie de la loi à la suite du saccage des bureaux du Comité contre la torture, son allégeance au Kremlin semble s'être affaiblie au cours des derniers mois.

Au grand désarroi des forces de l'ordre fédérales russes, la Tchétchénie de Kadyrov s'apparente de plus en plus à une zone extraterritoriale. Mis au pouvoir pour assurer l'ordre dans une ancienne république sécessionniste, Kadyrov a reçu carte blanche du Kremlin pour instaurer un régime brutal au nom de la stabilité.

«Poutine doit maintenir l'équilibre entre Kadyrov et les forces de l'ordre fédérales désenchantées par son règne dit le politologue Igor Bounine. Kadyrov et se permet des écarts parce qu'il sait que le Kremlin le perçoit comme le garant de l'ordre en Tchétchénie.»

Kadyrov avait pourtant toujours prétendu que les lois russes seraient respectées dans sa république, même s'il avait jadis affirmé que la religion passerait avant tout. Mais il a récemment imposé des lois islamiques qui vont à l'encontre de la laïcité stipulée dans la Constitution russe.

Kadyrov a donné sa bénédiction à Najoud Goutchigov, un chef de police local de 47 ans déjà marié qui voulait prendre Louisa Guoïlabieva, 17 ans, comme deuxième femme. La loi russe interdit la polygamie et fixe l'âge minimum pour le mariage à 18 ans, à quelques exceptions près.

«Un véritable patriote»

Kadyrov a également fait les manchettes à la suite de l'assassinat de Boris Nemtsov, un virulent opposant de Poutine abattu à deux pas du Kremlin en février. Un ancien membre des forces spéciales tchétchènes proche de Kadyrov, Zaour Dadaïev, avait été identifié comme principal suspect.

Tandis que le Kremlin tentait de réparer les dégâts en promettant une enquête rigoureuse, Kadyrov faisait l'éloge du présumé tireur, le qualifiant de «véritable patriote russe». Les autorités tchétchènes auraient également offert une protection armée à Rouslan Geremeïev, un autre membre des forces spéciales recherché pour le meurtre de Nemtsov, selon le journal indépendant Novaïa Gazeta.

Ilia Yachine, membre du conseil du parti de Nemtsov, prétend que Kadyrov serait devenu intouchable et que, par conséquent, il serait devenu l'épée de Damoclès de Poutine.

«Kadyrov a un vaste réseau de miliciens, affirme Yachine. Il pourrait très bien déclarer la guerre à Moscou et causer de bien plus graves problèmes.»