Le Parlement français a adopté définitivement mercredi soir, par un ultime vote de l'Assemblée, le projet de loi controversé sur le renseignement, défendu au nom de la lutte antiterroriste par le gouvernement, mais qui légalise des pratiques contestables des services selon ses détracteurs.

En plein scandale d'espionnage des dirigeants français par les États-Unis, le texte a été voté à main levée par une large majorité gauche-droite, mais avec des voix dissidentes dans presque chaque groupe politique.

Au nom d'une «unité nationale sans faille», Eric Ciotti (Les Républicains) s'est ainsi réjoui d'un «projet de loi nécessaire et positif», position partagée par la «grande majorité» de son groupe. Le Front de gauche a voté en revanche contre une «loi scélérate» tout comme la majorité du groupe écologiste.

Mise en chantier l'an dernier, son élaboration a été accélérée par l'exécutif au lendemain des attentats qui ont fait 17 morts début janvier à Paris.

De la prévention d'attentats à l'espionnage économique, le texte définit un large éventail des missions des services de renseignement, ainsi que le régime d'autorisation et de contrôle de nombreuses techniques d'espionnage (écoutes, pose de caméra ou de logiciel-espion, accès aux données de connexion, etc.).

Dénonçant les discours sur de «prétendues atteintes aux libertés publiques», le rapporteur Jean-Jacques Urvoas (PS) a insisté sur la «création pour la première fois d'un cadre juridique démocratique des activités des services de renseignement» en France.

«Là où les services estimaient que leur légitimité l'emportait sur toute autre considération, ils devront désormais agir dans le respect du principe inverse, leurs prérogatives particulières n'étant admises qu'à la condition qu'elles soient justifiées et proportionnées», a-t-il plaidé.

Saisines multiples du Conseil Constitutionnel

Face à la controverse suscitée par ce texte, critiqué par de nombreuses ONG, syndicats de magistrats et de journalistes notamment, François Hollande avait annoncé par avance qu'il saisirait lui-même - fait inédit - le Conseil constitutionnel, au terme de la navette parlementaire, pour apporter la «garantie» que ce texte est «bien conforme» à la Constitution.

Des députés Les Républicains, écologistes, Modem et même Front national ont défendu ensemble devant la presse mercredi le recours que vont déposer de leur côté une centaine de parlementaires tout comme le président du Sénat.

Ce texte risque d'aboutir «à une surveillance de masse» dangereuse pour les libertés, a déclaré Pierre Lellouche (LR), un des élus à l'origine de cette initiative avec Laure de la Raudière (LR).

Ces élus relayaient ainsi les craintes de la CNIL (Comission nationale de l'informatique et des libertés), du Défenseur des Droits Jacques Toubon, de syndicats de magistrats ou d'acteurs du numérique, sur les pouvoirs «exorbitants» donnés aux services.

Un point en particulier a cristallisé les débats: la mise en place, sur les réseaux des opérateurs, d'outils d'analyse automatique (un algorithme) pour détecter par une «succession suspecte de données de connexion» une «menace terroriste», un dispositif qualifié de «boîte noire» par ses détracteurs qui le comparent aux pratiques de «surveillance généralisée» de la NSA américaine.

En revanche, le rapporteur met en avant le renforcement du contrôle des services avec la création d'une «Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement». Elle donnera un avis préalable à chaque mise en oeuvre de ces techniques, sauf en cas d'urgence, et pourra saisir le Conseil d'État en cas d'abus.

Comme les sénateurs mardi,  les députés ont adopté un amendement du gouvernement supprimant une disposition permettant de surveiller les étrangers de passage en France sans saisir l'instance de contrôle. Cette disposition, jugée inconstitutionnelle par le gouvernement, avait été introduite par M. Urovas lors de la commission mixte paritaire (CMP) qui a abouti à un accord entre les deux chambres.

Dans ce contexte, la révélation de l'espionnage du président Hollande et ses deux prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac pratiqué pendant des années par la NSA, est apparue tout sauf fortuite au ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve.

«La date choisie pour ces révélations peut laisser craindre certains amalgames entre les pratiques de certains services étrangers et le contenu de ce texte (...) De telles pratiques ne sont en aucun cas celles de la France», a-t-il martelé.