Le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan a rompu jeudi le silence qu'il observait depuis le revers subi par son parti aux élections législatives pour réclamer la formation «aussi vite que possible» d'un gouvernement de coalition.

«Tout le monde doit mettre de côté son ego (...) et former aussi vite que possible un gouvernement» de coalition, a déclaré M. Erdogan à Ankara, lors de sa première apparition publique depuis le scrutin.

Au pouvoir depuis treize ans, le Parti de la justice et du développement (AKP) est arrivé en tête du scrutin de dimanche en recueillant 40,8 % des voix, mais a subi un recul de près de 10 points par rapport à son score de 2011 (49,9 %), ce qui l'a privé de la majorité absolue qu'il détenait depuis treize ans au Parlement.

Avec seulement 258 des 550 sièges de députés, l'AKP est contraint pour la première fois de former une coalition avec un ou plusieurs des trois partis de l'opposition, une tâche qui s'annonce compliquée.

«Nous ne pouvons pas laisser la Turquie sans gouvernement, sans tête», a plaidé le chef de l'État lors d'un discours devant la chambre de commerce d'Ankara. «Ceux qui priveraient la Turquie d'un gouvernement en paieront le prix», a-t-il mis en garde.

Le chef du principal parti d'opposition, Kemal Kiliçdaroglu, lui a immédiatement répondu sur son compte Twitter que son Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) «travaille avec acharnement pour sortir la Turquie de cette situation difficile».

Comme il l'avait fait dès lundi dans une courte déclaration écrite, M. Erdogan a insisté sur la nécessité absolue de préserver la stabilité du pays.

«J'appelle toutes les formations politiques à agir avec sang-froid et à prendre leurs responsabilités pour que notre pays puisse traverser cette période avec le moins de dégâts possibles», a-t-il lancé.

Les deux principaux adversaires de l'AKP, le CHP et le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite) ont obtenu 132 et 80 sièges. Le parti prokurde HDP (Parti démocratique du peuple) a réussi une performance historique en envoyant 80 députés à l'Assemblée.

«Respecter le vote»

La constitution d'un gouvernement de coalition s'annonce particulièrement délicate, car les trois partis ont jusque-là rejeté publiquement toute idée d'alliance avec l'AKP.

Lors de son discours, M. Erdogan a pris acte des résultats des élections. «Tout le monde doit respecter la volonté de la nation», a-t-il jugé.

Ce scrutin a sonné comme une défaite personnelle pour le chef de l'État, qui s'est directement investi dans la campagne, contre l'esprit de la Constitution, en plaidant l'instauration d'un régime présidentiel fort. L'échec de l'AKP à obtenir la majorité nécessaire pour réformer la Constitution a sonné le glas de son ambition.

Jeudi, M. Erdogan a clairement signalé à ses adversaires que ce camouflet ne signifiait pas qu'il allait se taire ou renoncer à jouer un rôle politique.

«Personne ne doit douter que je remplirai tous les devoirs qui m'incombent en tant que président, dans le cadre de la Constitution», a-t-il assuré, «en tant que premier président de Turquie élu au suffrage universel, j'ai une responsabilité bien plus grande».

M. Erdogan a également repris son offensive contre les médias occidentaux, les accusant de le décrire comme «méchant» et «agressif». «J'ai du mal à comprendre leur intolérance», a-t-il lancé, avant de dénoncer à nouveau les pays européens accusés de laisser «se noyer» des milliers de réfugiés qui tentent d'entrer sur leur sol.

Mercredi, le premier ministre sortant Ahmet Davutoglu a annoncé qu'il allait entamer des consultations, mais a évoqué la perspective d'élections anticipées en cas d'échec. «Je négocierai avec toute le monde. Si rien n'en sort (...), nous retournerons devant le peuple et nous lui demanderons un nouveau mandat», a-t-il dit à la télévision.

Jeudi, M. Davutoglu a précisé que son parti était un élément incontournable de toute coalition. «Le seul parti qui puisse fournir des solutions réalistes est l'AKP», a-t-il déclaré devant ses troupes, «une Turquie sans l'AKP se déchirerait comme l'Irak ou le Liban».