Les organisations de la société civile ont la vie dure en Russie. Trois ans après une première loi qui les stigmatisait si elles recevaient de l'argent de l'étranger, une nouvelle loi, ratifiée par Vladimir Poutine la semaine dernière, les oblige carrément à couper les ponts avec le reste du monde. Quatre mots pour comprendre.

Agents étrangers

La bataille contre les organisations de la société civile russe a débuté en 2012, juste après les élections législatives de 2011, dont la légitimité a été contestée par un large mouvement populaire. La loi permet de qualifier d'«agents étrangers» toutes les organisations à «vocation politique» qui reçoivent du financement d'organisations étrangères, comme la fondation Soros, qui soutient nombre d'organisations prodémocratie dans le monde. «Si nous recevons des fonds de l'étranger, nous sommes des agents étrangers. Pour les Russes, ça veut dire que nous sommes des espions, des traîtres», avait dit à La Presse une des têtes de proue de l'organisation Mères de soldats à la veille de l'adoption de la loi.

Liste noire

Depuis la semaine dernière, la Russie dispose d'une liste noire des «indésirables». Pour l'établir, le procureur général du pays a évalué quelles organisations internationales menacent l'«ordre constitutionnel» et la «sécurité nationale» de la Russie. Qui est sur cette liste? Le groupe armé État islamique ou la mafia chinoise? Niet. Apparaissent plutôt à l'index russe Human Rights Watch, Amnistie internationale et Transparency International, soit des organisations qui se portent à la défense des droits de la personne ou qui luttent contre la corruption. Ces organisations ont aussi toutes en commun d'avoir publié des rapports critiques sur la Russie de Vladimir Poutine. Depuis le 27 mai, une organisation russe qui entre en contact avec un membre de la liste noire commet un crime. Ses responsables sont passibles d'emprisonnement. Les organisations indésirables sont pour leur part «persona non grata» sur le territoire russe.

Révolutions de couleur

Selon le récit entretenu par le Kremlin, les «agents étrangers» russes s'allient aux «organisations indésirables» afin de mettre en marche une «révolution de couleur» pour renverser le gouvernement russe. La possibilité d'un soulèvement de la population inquiète Vladimir Poutine depuis la révolution des Roses en Géorgie, qui a entraîné en 2004 la chute du président Édouard Chevarnadzé. Le soulèvement géorgien avait été suivi par la révolution orange d'Ukraine, qui avait à son tour chassé pour une première fois du pouvoir le politicien prorusse Viktor Ianoukovitch. Le même Ianoukovitch a été reporté au pouvoir en 2010. L'an dernier, le mouvement populaire de Maïdan l'a obligé à fuir. Depuis, Moscou considère que le président ukrainien a été victime d'un «putsch» organisé par des organisations «fascistes». En Russie, les médias d'État soutiennent cette version des faits.

Élections

Ratifiée par Poutine le 27 mai, la nouvelle loi contre les organisations «indésirables» survient un peu plus d'un an avant les élections législatives russes de 2016, qui s'annoncent particulièrement difficiles pour le parti de Vladimir Poutine, Russie unie. «La popularité de Poutine tient le coup dans le climat nationaliste ambiant, mais le parti officiel qui doit faire régner sa loi aux quatre coins du pays est dans l'eau chaude», a dit Dmitri Orechkin, président d'une firme de consultants médiatiques basée à Moscou, lors d'une entrevue avec le Christian Science Monitor. «La seule chose que les autorités savent faire dans une telle situation est d'éliminer la concurrence et toutes les sources alternatives d'information. Pour eux, tout est une menace.»