L'Irlande a dit samedi un «oui» franc et massif au mariage homosexuel, devenant le premier pays à l'autoriser par voie référendaire, un désaveu pour l'Église catholique qui a tout tenté pour s'y opposer et juguler le déclin de son influence sur la société irlandaise.

Vingt-deux ans après la dépénalisation de l'homosexualité en Irlande, le oui l'a emporté avec 62% des voix, selon les résultats officiels publiés en fin d'après-midi

L'Irlande devient ainsi le 19e pays, le 14e en Europe, à légaliser le mariage gai. Il est par contre le seul pays à l'avoir fait par référendum, les autres ayant opté pour la voie parlementaire.

«Aujourd'hui l'Irlande a écrit une page d'Histoire», a déclaré à la presse le premier ministre Enda Kenny.

«Avec ce résultat, nous montrons que nous sommes un peuple généreux, sensible, audacieux et joyeux», a-t-il dit, tandis que, dans les rues de Dublin, des Irlandais, hommes et femmes de tous âges, exultaient et se prenaient dans les bras.

«C'est une victoire immense pour l'égalité en Irlande, qui fera date dans l'histoire du pays», a dit Noel Sutton, 54 ans, devant un centre de comptage des bulletins de vote.

La presse irlandaise s'est elle aussi félicitée du résultat. La communauté gaie «a offert un de ses plus beaux jours à la démocratie irlandaise», écrit dimanche l'éditorialiste du quotidien Irish Times, Fintan O'Toole.

«Cela donne à notre république usée un nouveau sentiment d'engagement, un regain de confiance, des possibilités élargies», ajoute-t-il.

«La génération du 'tigre celtique' a poussé un rugissement franc et massif», note dans le Irish Independent Niall O'Connor, soulignant l'implication des jeunes dans la campagne en faveur du oui, dans laquelle les réseaux sociaux ont joué un rôle clé.

À l'étranger, l'issue du référendum organisé vendredi a été «saluée» par le vice-président américain Joe Biden, né dans une famille d'origine irlandaise. «L'amour a gagné», a-t-il tweeté.

Le premier ministre britannique David Cameron a lui aussi tweeté ses félicitations aux Irlandais pour leur vote, qui dit «clairement que vous êtes égaux, que vous soyez hétéro ou homosexuel.»

Avant même la publication des résultats, un des principaux responsables de la campagne du non, David Quinn, avait concédé la défaite de son camp. «C'est une claire victoire pour le camp du oui», avait-il déclaré, adressant ses «félicitations» aux partisans du mariage homosexuel.

«L'Irlande a changé»

Dans la capitale irlandaise, le domaine du château de Dublin, exceptionnellement ouvert au public, était envahi par des centaines de pro-mariage gais qui brandissaient des drapeaux arc-en-ciel et célébraient leur victoire.

«L'Irlande a changé. Il y a encore quelques années, elle n'aurait jamais accepté» une telle réforme, a dit, émue, Karen Brady, une Irlandaise de 27 ans venue spécialement du Canada pour voter.

La réforme constitutionnelle approuvée par les Irlandais autorise «le mariage entre deux personnes, sans distinction de sexe». Elle devrait entrer en vigueur cet été, et les premiers mariages être célébrés avant la fin de l'année.

Ce texte ne concerne pas l'adoption, déjà possible pour les couples mariés, les personnes célibataires et les couples de même sexe.

Le référendum a fait l'objet d'une forte participation, supérieure à 60%, signe de l'intérêt pour cette consultation qui a donné lieu à des débats passionnés, reflétant les interrogations de la société irlandaise face au conservatisme de l'Église catholique.

Comme un symbole, des pancartes «Égalité pour tous» avaient été accrochées vendredi à Dublin près de l'ancienne maison d'Oscar Wilde, auteur dont l'homosexualité lui valut d'être emprisonné en Grande-Bretagne au XIXe siècle.

Le oui a été défendu par tous les principaux partis politiques irlandais, y compris le Fine Gael au pouvoir, pourtant plutôt conservateur. Le camp du oui a aussi reçu le soutien de personnalités du sport et du spectacle, comme la chanteuse Sinead O'Connor.

Message pour le reste du monde

Le groupe irlandais U2 avait appelé sur Instagram à voter pour le mariage gai avec le message: «In the name of love... vote yes», citant un de ses refrains les plus célèbres.

Dans le camp adverse, l'Église catholique d'Irlande et les conservateurs avaient soutenu que le mariage devait rester l'apanage des couples composés d'un homme et d'une femme.

Mais l'influence de l'Église, autrefois si puissante, n'a cessé de décliner, érodée par les bouleversements économiques et sociaux, même si l'avortement reste interdit en Irlande, sauf lorsque la vie de la mère est en danger.

L'institution religieuse paie aussi le prix des affaires de pédophilie impliquant des prêtres, parfois couvertes par des responsables ecclésiastiques.

«Je crois que l'Église doit ouvrir les yeux» sur l'évolution de la société, a estimé l'archevêque de Dublin, Diarmuid Martin, selon qui le clergé fait désormais face à un «défi»: «Trouver comment faire passer (son) message».

L'Irlande, pays de 4,6 millions d'habitants, avait voté en 1995 pour légaliser le divorce, malgré, là aussi, l'opposition de l'Église.

Selon Colm O'Gorman, d'Amnesty International, la victoire du oui envoie «un extraordinaire message d'espoir à la communauté LGBT victime de persécutions à travers le monde».