Les députés français ont adopté mardi un projet de loi controversé sur le renseignement, défendu par le gouvernement au nom de la lutte antiterroriste, mais cible de multiples critiques contre la menace d'une «surveillance de masse».

Le texte a été voté à une large majorité, avec 438 voix pour, 86 contre et 42 abstentions.

Le premier ministre Manuel Valls s'en est félicité, estimant que ce texte «préserve nos libertés fondamentales», mais «encadre l'activité de nos services de renseignement et leur donne davantage de moyens».

Après l'Assemblée nationale, le texte doit être débattu fin mai au Sénat et peut donc encore être modifié. «J'espère qu'il pourra être adopté avant l'été pour être rapidement mis en oeuvre», a ajouté Manuel Valls.

Le projet de loi était en préparation avant les attentats djihadistes de janvier à Paris (17 morts), mais ceux-ci ont renforcé son bien-fondé aux yeux du gouvernement.

Pour Manuel Valls, le ralliement attendu de nombreux députés de l'opposition de droite démontre, «au-delà des clivages politiques, le sens des responsabilités et de l'État des responsables publics quand notre pays est confronté (...) à une menace terroriste sans précédent».

Dans un souci d'apaisement face aux critiques, le président socialiste François Hollande a annoncé qu'il saisirait le Conseil Constitutionnel au terme de la procédure parlementaire, afin d'apporter la «garantie» d'un texte «bien conforme» à la loi fondamentale.

Mais cette initiative, inédite en France pour un chef de l'État, n'a pas calmé les craintes des adversaires du projet, qui dénoncent l'instauration de «méthodes de surveillance lourdement intrusives».

À Paris, plusieurs centaines de protestataires se sont rassemblés lundi aux abords de l'Assemblée nationale pour une manifestation «24 heures avant 1984», en allusion au célèbre roman de George Orwell.

Parmi les contestataires, l'extrême gauche, mais aussi les écologistes, une multitude d'associations, dont Amnistie internationale, et des syndicats de magistrats ou de journalistes.

À l'extrême droite, la présidente du Front national Marine Le Pen a qualifié «d'indigne» la future loi, «dangereuse» pour les libertés publiques.

L'Association française des victimes du terrorisme (AFVT) a de son côté réclamé «davantage de garde-fous législatifs» pour «garantir le respect des droits fondamentaux».

«Boite noire»

Le projet de loi définit à la fois les missions des services de renseignement (de la prévention du terrorisme à l'espionnage économique) et le régime d'autorisation et de contrôle de l'utilisation de certaines techniques d'espionnage (écoutes, pose de caméras ou de logiciel-espion, accès aux données de connexion, etc.).

Manuel Valls a rejeté les accusations de «loi de circonstance» après les attentats, soulignant que la précédente loi sur les écoutes remontait à 1991 «quand il n'y avait ni téléphone portable ni internet».

La crainte de pouvoirs «exorbitants» donnés aux services de renseignement a été exprimée par la Commission nationale Informatique et Libertés - autorité administrative indépendante - par des magistrats et par de nombreux acteurs du numérique opposés à toute «écoute systématique et de masse».

Un point cristallise les inquiétudes: la mise en place, sur les réseaux des opérateurs, d'outils d'analyse automatique pour détecter par une «succession suspecte de données de connexion» le profil de personnes pouvant présenter une «menace terroriste».

Le dispositif est qualifié de «boîte noire» par ses détracteurs, qui y voient le début d'une surveillance de masse.

Ces boîtes noires seraient installées directement chez les opérateurs et les hébergeurs internet et ne donneraient pas accès au contenu des communications, mais uniquement aux métadonnées.

L'exécutif met en avant le renforcement du contrôle des services avec la création d'une «Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement», composée principalement de parlementaires et magistrats.

Ce projet de loi rassure en partie les services de renseignement, inquiets d'opérer dans un vide juridique au risque de poursuites éventuelles, mais pour d'autres il va constituer paradoxalement un frein à leurs activités en renforçant les contrôles administratifs.

«Il ne faut pas se le cacher», confie à l'AFP un responsable d'un service, «il n'y a rien dans cette loi que les services ne mettaient pas déjà en pratique».