Le premier ministre grec Alexis Tsipras était l'hôte mercredi au Kremlin de Vladimir Poutine, point d'orgue d'une visite que les Européens considèrent avec méfiance en raison des positions conciliantes du nouveau pouvoir grec à l'égard de la Russie sur fond de crise ukrainienne.

Arrivé dans la capitale russe mardi soir, M. Tsipras, taxé par certains analystes de cheval de Troie de la Russie en Europe, a déposé dans la matinée une gerbe au mémorial du Soldat inconnu, près des murs du Kremlin.

Il a été reçu par le président russe vers les 13 h (6 h, heure de Montréal), puis parlera jeudi de «collaboration économique et commerciale» avec son homologue russe, Dmitri Medvedev, et prendra la parole devant des étudiants russes en relations internationales.

Alors que cette visite suscite l'inquiétude de ses partenaires européens, Athènes s'est voulu rassurant, le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, affirmant que la crise grecque devait «se résoudre dans le cadre de la famille européenne», manière de dire que la Grèce ne cherchait pas d'aide financière ailleurs qu'auprès de ses partenaires européens.

«Pourquoi est-ce que quand un pays agit en suivant ses propres intérêts, cela est tout de suite vu comme une violation de la solidarité européenne?», a pour sa part déclaré le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, lors d'une conférence de presse avec son homologue arménien, Édouard Nalbandian.

Pour le quotidien grec Ta Nea, la visite d'Alexis Tsipras relève d'une «partie d'échecs compliquée» au cours de laquelle il devra trouver «un équilibre entre un élargissement des horizons économiques et énergétiques du pays» et ses relations avec ses «alliés naturels» européens.

Selon le ministère russe des Finances, aucune demande officielle pour un prêt de la Russie à la Grèce n'a d'ailleurs été adressée et aucune rencontre entre M. Tsipras et le ministre russe des Finances n'est prévue au programme.

«Avec cette visite, la Grèce n'obtiendra bien entendu aucun argent pour combler son gouffre financier», estime Fiodor Loukianov, président du Conseil de politique extérieure et de défense, basé à Moscou.

Selon l'analyste, Moscou pourrait toutefois sans grande peine faire un geste en faveur d'Athènes en levant son embargo sur les produits alimentaires grecs, décidé l'été dernier dans le cadre des contre-sanctions russes envers l'Union européenne.

La question stratégique du gaz pourrait également être abordée, avec la perspective du prolongement vers la Grèce du projet de Gazoduc «Turkish Stream» entre la Russie et la Turquie, ou celle des investissements russes en Grèce, notamment dans la recherche de réserves pétrolières sous-marines et la compagnie ferroviaire Trainose.

Mises en garde européennes

Dans un contexte de crise ukrainienne qui a dégradé les relations UE-Russie, cette visite de deux jours d'un responsable européen à Moscou n'est pas passée inaperçue et les mises en garde n'ont pas tardé au moment où le gouvernement grec négocie laborieusement avec ses créanciers, UE et Fonds monétaire international (FMI), le déblocage d'une tranche d'aide vitale pour sa survie financière.

Le président du Parlement européen, Martin Schulz, interrogé ce week-end par le journal allemand Hannoversche Allgemeine Zeitung, a demandé à M. Tsipras de «ne pas mécontenter ses partenaires européens» en risquant de rompre l'unanimité de l'Union européenne vis-à-vis de la Russie.

La Grèce fait partie des pays européens opposés aux sanctions contre Moscou. Alexis Tsipras a répété, dans une interview la semaine dernière à l'agence de presse officielle russe Tass, qu'elles ne «menaient nulle part».

La Commission européenne s'est bornée à rappeler mardi que «la politique commerciale est une compétence exclusive de l'Union européenne».

«Cette visite est en réalité un signal psychologique que le premier ministre grec veut envoyer. Un signal que la Grèce a d'autres amis. Le fait que l'Europe réagisse comme elle le fait montre que ça fonctionne», affirme Fiodor Loukianov.

Athènes mène à cet égard une diplomatie tous azimuts tournée aussi bien vers l'Europe que les États-Unis, où se trouvait dimanche M. Varoufakis, que vers la Chine.