Le Parlement turc a été, une nouvelle fois, le théâtre mardi soir d'une violente altercation entre députés autour d'un projet de loi très controversé renforçant les pouvoirs de la police, nouvel exemple des vives tensions politiques qui divisent le pays.

À moins de quatre mois des élections législatives du 7 juin, cinq élus de l'opposition qui tentaient d'empêcher le débat sur ce texte ont été blessés lors d'une bagarre générale qui les a opposés à leurs collègues du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) au pouvoir.

Claques, jets de verre et même coups de maillet sur la tête, les députés se sont affrontés pendant de longues minutes, protégés de l'oeil des médias et de leurs électeurs par un opportun huis clos, ont rapporté certains d'entre eux à la presse.

Quatre élus eux ont été sérieusement touchés, au point d'être hospitalisés.

«Il y a toujours eu des bagarres au Parlement, mais c'est la première fois que je vois ça», a raconté à la télévision Ertügrül Kürkçü, élu du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), lui-même blessé à la tête d'un coup de poing.

Cette fois, c'est le projet de loi dit de «réforme de la sécurité intérieure» qui a mis le feu aux poudres parlementaires. Décrié en Turquie comme à l'étranger, il renforce les pouvoirs de la police, autorisant entre autres arrestations, écoutes et perquisitions sur la base d'un simple «soupçon», sans contrôle immédiat du juge.

L'opposition accuse le président Recep Tayyip Erdogan de vouloir transformer avec ce texte le pays en «État policier».

«On a vu ce qui est arrivé au Parlement. Je ne veux pas penser à ce qui va se passer dans les rues quand cette loi sera adoptée», a dit une députée du CHP, Melda Onur.

Alors que les deux camps se sont renvoyé toute la journée la responsabilité des incidents de la nuit, les débats ont repris sous haute tension mercredi après-midi. Comme promis, l'opposition a poursuivi ses manoeuvres de procédure pour retarder l'examen effectif des articles du texte, qui pourrait débuter jeudi.

«Spirale de la violence»

Ces nouvelles échauffourées illustrent la forte polarisation de la vie politique turque. En un an seulement, l'hémicycle de la Grande assemblée nationale (TBMM) a vu des députés rivaux en venir aux mains à plusieurs reprises.

Alors que la Turquie est encore sous le choc de l'affaire Özcegan Aslan, du nom d'une étudiante violée, assassinée et brûlée la semaine dernière, un autre incident est venu nourrir cette «spirale de la violence» dénoncée par plusieurs médias.

Mardi soir, un journaliste et militant des droits de l'homme a été poignardé à mort à Istanbul par un commerçant parce qu'une boule de neige avait atteint sa vitrine.

Les proches de la victime ont dénoncé un «crime de haine», car la victime faisait partie d'un groupe qui a participé quelques heures plus tôt dans le même quartier à une manifestation contre le projet de loi qui a enflammé le Parlement.

«Les hommes politiques doivent arrêter de désigner des ennemis, agir de façon responsable et promouvoir la démocratie», a réagi l'Association des journalistes turcs.

La presse d'opposition a elle aussi renvoyé la responsabilité de cette tension à M. Erdogan, accusé d'une dérive autoritaire et islamiste qui a, selon l'éditorialiste Mustafa Akyol, transformé le pays en une «République de la haine».

Habitué des discours enflammés, l'homme fort du pays depuis 2003 y exacerbe volontiers l'opposition entre ses partisans et ses détracteurs. Ces derniers jours, la presse prorégime s'est ainsi déchaînée contre le prix de Nobel de littérature Orhan Pamuk, accusé d'être un «traître» pour avoir osé critiquer le régime.

Dans son éditorial, le quotidien Hürriyet a appelé mercredi à la fin de la «rhétorique irrationnelle» du chef de l'État.

Cette stratégie de la tension a commencé à susciter des inquiétudes au sein même du camp gouvernemental. La semaine dernière, le vice-premier ministre Bülent Arinç a regretté voir désormais «la haine» dans le regard de ses rivaux politiques. Avant de plaider pour un «ton apaisé en politique» plutôt que «les cris et la fureur».