Au lendemain des attentats qui ont secoué la France, début janvier, c'est la consternation: on apprend qu'Amedy Coulibaly, auteur de la prise d'otages dans une épicerie kasher, à Paris, se serait radicalisé en prison. Depuis, le gouvernement français a annoncé des mesures pour lutter contre ce phénomène. Mais pour Habib Kaaniche, aumônier musulman dans le sud-est de la France, il reste beaucoup à faire. La Presse a discuté avec lui de la difficile tâche des aumôniers en prison et des solutions à la radicalisation.

Q: Quel est concrètement le travail d'un aumônier musulman dans les prisons?

R: Rencontrer des prisonniers, les écouter, et essayer de comprendre, de se mettre à leur niveau et être spirituellement présent auprès d'eux. Ce n'est pas le rôle des aumôniers de contrer la radicalisation en prison. L'administration pénitentiaire peut nous demander conseil, au cas par cas, pour essayer d'améliorer la relation avec le prisonnier et éventuellement sauver ceux qui ne sont pas radicalisés de l'influence des plus radicaux.

Q: Le gouvernement français a annoncé la semaine dernière l'ajout de 60 aumôniers musulmans dans les prisons. Est-ce une bonne nouvelle et est-ce qu'il manque d'aumôniers actuellement?

R: Oui, il en manque, à plusieurs niveaux. C'est bien de faire des annonces de ce genre. Mais il faut plus que ça. Si on veut sérieusement protéger les personnes prisonnières qui ne sont pas radicalisées, les protéger de ces éléments radicaux, il faut qu'il y ait un aumônier dans chaque prison et parfois plusieurs aumôniers musulmans. Un aumônier qui vient une fois par semaine, une ou deux heures, ne peut pas protéger de façon sérieuse les prisonniers de confession musulmane. Et si on veut des personnes compétentes, dans les aumôneries, il est nécessaire de bien les préparer, prendre des gens qui ont une culture générale, une instruction, et qu'on forme pour qu'ils puissent articuler l'islam avec les lois et les règles de la République française.

Q: Avez-vous de la difficulté à recruter des aumôniers?

R: La première demande que nous avons, depuis longtemps, c'est de professionnaliser les aumôniers qui, en France, n'ont pas de statut. Un aumônier intervient dans des centres pénitentiaires, il a une petite indemnité, mais il n'a ni sécurité sociale ni retraite.

Pour pouvoir trouver des candidats sérieux et assez costauds du point de vue de la culture générale, ce n'est pas facile. Il faudrait qu'il y ait des gens qui puissent gagner leur vie.

Q: La population musulmane est-elle surreprésentée dans les prisons françaises?

R: En France, on n'a pas le droit de détailler les prisonniers par religion. La loi ne le permet pas. Mais il y a eu un certain nombre d'études qui disent que la population musulmane en prison y est aussi importante que la population catholique. Mais les catholiques ont deux ou trois fois plus d'aumôniers et de moyens que les musulmans. Si on ne veut plus de ce genre de problèmes - influence de prisonniers musulmans qui n'ont rien à voir avec l'islamisme radical et le terrorisme - il faut y mettre les moyens.

Q: Comment faire pour freiner la radicalisation dans les prisons? Le gouvernement propose de regrouper les éléments radicaux dans des «quartiers» spécifiques en prison.

R: C'est une faute énorme. Quand on détecte des personnes radicalisées ou radicales, il serait souhaitable de les isoler, pas de les regrouper. Les regrouper, ça veut dire que vous allez regrouper des fléaux. Un apprenti terroriste, quand on le met avec un autre fanatique, on multiplie le fanatisme par deux, par trois, par quatre. Il faut isoler le danger, si on veut essayer de l'éradiquer.

Q: Quelle est la difficulté d'isoler les éléments radicaux?

R: En France, on n'a pas assez de prisons. Et on n'a pas assez de place dans les prisons. Nous avons entre 65 000 et 70 000 prisonniers, mais il y a moins de 60 000 places. Il y a surpopulation. Il faudrait que les hommes politiques, un jour, tentent de solutionner ce problème de façon sérieuse. Il faut construire des prisons.