Marée humaine à Grozny pour dénoncer les caricatures de Mahomet, drapeau français brûlé en Afghanistan, menaces contre les Français à Gaza: les manifestations anti-Charlie Hebdo se poursuivaient lundi après un week-end marqué par de violentes émeutes au Niger.

Près de deux semaines après le carnage de l'hebdomadaire satirique où douze personnes, dont la fine fleur du dessin de presse français, ont péri sous les balles de deux frères djihadistes français, l'incompréhension est totale dans le monde entre ceux qui défendent le droit d'un petit journal à se moquer de la religion, quelle qu'elle soit, et ceux qui crient au blasphème.

La Tchétchénie, république musulmane du Caucase russe, est devenue pour quelques heures lundi la capitale de la contestation anti-Charlie Hebdo.

Scandant «Allahu Akbar» et agitant des banderoles proclamant leur amour pour le prophète Mahomet, des centaines de milliers de manifestants se sont réunis au pied de la mosquée de Grozny, selon une journaliste de l'AFP sur place.

Ils étaient «plus de 800 000» manifestants, a affirmé à l'AFP le ministère russe de l'Intérieur tandis que les autorités locales, citées par les agences russes, ont avancé quant à elles le chiffre d'un «million de manifestants».

Il est difficile de dire avec précision combien de personnes, de Tchétchénie et de l'ensemble du Caucase russe, ont répondu à l'appel du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov. Pour avoir un ordre d'échelle : la population totale de la Tchétchénie s'établit officiellement à 1,2 million d'habitants et celle de Grozny à 220 000 habitants.

«Ceci est une manifestation contre ceux qui insultent la religion musulmane», a déclaré devant les manifestants, très ému, le dirigeant tchétchène au pied de la gigantesque mosquée qu'il a fait ériger en hommage à son père, Akhmad Kadyrov, mort en 2004 dans un attentat.

«Nous n'autoriserons jamais qui que ce soit à insulter le nom du prophète», a-t-il continué, en référence aux dessins de presse publiés par Charlie Hebdo, notamment certains représentant a priori le prophète de l'islam.

«Derrière l'incident des caricatures se trouvent les autorités et les services secrets des pays occidentaux», a accusé le dirigeant tchétchène devant la foule, martelant qu'il ne laisserait «personne insulter le prophète».

Parmi les manifestants, certains estimaient que les victimes de l'attaque contre Charlie Hebdo le 7 janvier, au coeur de Paris, avaient «mérité» leur sort.

«Ce sont ces mêmes forces obscures, celles qui ont provoqué ces caricatures, qui ont assassiné ces gens», expliquait un vieil homme, revêtu de la coiffe traditionnelle tchétchène.

M. Kadyrov, qui dirige la Tchétchénie d'une main de fer, avait appelé à «une manifestation populaire et solidaire» contre les représentations de Mahomet, appelant les musulmans des républiques voisines, l'Ingouchie et le Daguestan, à se joindre au mouvement.

Environ 15 000 personnes s'étaient déjà rassemblées samedi en Ingouchie pour protester contre des caricatures que les médias russes doivent «s'abstenir de publier» selon des consignes de l'autorité russe de surveillance des médias, Roskomnadzor.

Très virulent contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, cible d'une attaque qui a fait douze morts le 7 janvier et choqué le monde entier, le dirigeant tchétchène avait décrit les auteurs des caricatures de Mahomet comme des «personnes sans valeurs spirituelles et morales».

Il avait aussi qualifié l'ex-oligarque russe Mikhaïl Khodorkovski d'«ennemi de tous les musulmans» lorsque ce dernier avait demandé aux médias russes de publier des caricatures de Mahomet en signe de soutien à Charlie Hebdo.

Si la Russie avait salué dans un premier temps la marche historique organisée dimanche à Paris contre le terrorisme, de nombreux médias et responsables russes se démarquent désormais de la solidarité mondiale que continue de susciter l'attentat.

La Russie de Vladimir Poutine, qui se veut le champion des valeurs et du conservatisme contre un Occident décadent, accuse notamment Charlie Hebdo de manquer de respect aux croyants.

Drapeaux français brûlés

À l'instar de la Tchétchénie, la contestation contre les caricatures de Mahomet faisait tache d'huile dans plusieurs pays, même si la majorité des musulmans reste étrangère à ce mouvement de contestation. À Jalalabad, dans l'est de l'Afghanistan, environ 500 manifestants ont défilé et brûlé un drapeau français.

Dans le Pakistan voisin, environ 250 militants de la Jamaat-e-Islami (JI), un des principaux partis islamistes du pays, ont scandé «Mort à la France», «Mort à Charlie Hebdo» à Peshawar (nord-ouest), après trois jours marqués par de nombreuses manifestations, parfois violentes, à travers le pays.

«J'appelle le gouvernement afghan et d'autres pays islamiques à couper leurs liens diplomatiques avec la France», a lancé à l'AFP Matiullah Ahmadzai, 25 ans, demandant à ce que Paris «présente ses excuses» aux musulmans.

Vendredi, la contestation avait tourné à l'affrontement devant le consulat français de Karachi où un photographe de l'AFP avait été grièvement blessé par balle.

L'ambassade de France à Téhéran a également été choisie comme lieu de ralliement par des centaines de manifestants iraniens scandant «Mort à la France», «Mort à Israël» et «Nous aimons le prophète».

À Gaza, le drapeau français a été brûlé et des menaces envers les Français ont aussi été proférées par environ 200 islamistes radicaux.

«Français, dégagez de Gaza ou nous vous égorgerons», ont scandé devant le Centre culturel français ces hommes qui brandissaient le drapeau noir des djihadistes.

Le Niger, qui a été le théâtre des manifestations les plus violentes contre les caricatures de Mahomet, restait sur le qui-vive après des émeutes ayant fait dix morts.

Quelque 300 chrétiens continuaient ainsi lundi de bénéficier d'une protection militaire à Zinder, où cinq personnes ont été tuées vendredi.

Au total, au cours des émeutes qui ont également fait cinq victimes samedi à Niamey, quarante-cinq églises ont été incendiées et des commerces, des hôtels ainsi qu'une école et un orphelinat appartenant à des non-musulmans ont été détruits.