Le très médiatique Thomas Piketty, économiste qui connaît un succès international avec son dernier ouvrage, notamment aux États-Unis, a refusé jeudi sa nomination pour la Légion d'honneur au rang de chevalier et taclé une nouvelle fois au passage le gouvernement.

«Je viens d'apprendre que j'étais proposé pour la Légion d'honneur. Je refuse cette nomination, car je ne pense pas que ce soit le rôle d'un gouvernement de décider qui est honorable», a déclaré Thomas Piketty à l'AFP.

«Ils feraient bien de se consacrer à la relance de la croissance en France et en Europe», a-t-il ajouté.

M. Piketty, un temps proche du Parti socialiste, critique régulièrement la politique menée par le président François Hollande. Il regrette, entre autres, que ce dernier ait enterré sa promesse de campagne d'une profonde réforme fiscale, dans le sens d'une plus grande progressivité de l'impôt, un projet ardemment défendu par l'économiste.

En 1992, l'Abbé Pierre, promu grand officier, avait lui aussi refusé la distinction.

Pour cela, il suffit de ne pas venir recevoir sa décoration, puisqu'après la parution au JO, le nommé ne pourra la porter qu'après avoir été «reçu» dans l'ordre, c'est-à-dire décoré par un membre d'un grade au moins égal au sien.

«Personne ne m'avait prévenu de cette nomination, sinon je les en aurai immédiatement dissuadés», a assuré à l'AFP Thomas Piketty.

Geneviève Fioraso, secrétaire d'État chargée de l'Enseignement supérieur et de la recherche, qui avait proposé de le nommer, a «pris acte» de son refus et salué «l'excellence» de son travail, qui «méritait d'être distingué par la République française», dans une réaction à l'AFP.

Il avait «la liberté d'accepter ou non cette distinction» et «il a choisi de la refuser, ce dont nous prenons acte», a-t-elle dit.

Ses services ont confirmé que l'économiste n'avait pas été prévenu qu'il ferait partie de la «promotion du 1er janvier» de la Légion d'honneur, publiée ce jeudi au Journal Officiel.

M. Piketty, considéré comme l'un des grands spécialistes des inégalités, a été nommé au rang de chevalier, aux côtés d'un autre économiste, le Prix Nobel Jean Tirole, fait lui officier.

Livre écoulé à 1,5 million d'exemplaires

La Légion d'honneur ne se demande pas, mais peut être proposée par un tiers. Les dossiers passent ensuite par la Grande chancellerie, où ils sont vérifiés, puis par le conseil de l'ordre qui délivre un avis, généralement suivi par le président de la République, Grand maître de l'Ordre, qui signe alors la série de décrets de nominations et de promotions.

Côté politiques, le vice-président du FN Florian Philippot a adressé ses «félicitations» à Thomas Piketty dans un tweet, jugeant son geste «très sain et authentiquement républicain», tandis que le député PS «frondeur» Christian Paul a approuvé sur BFMTV son refus, y voyant un «acte politique» et un «cri de colère» contre un manque d'ambition du gouvernement en matière de réforme fiscale.

Le général Jean-Louis Georgelin, grand chancelier de la Légion d'honneur, a lui exprimé son «regret», mais souligné sur BFMTV que ce n'était qu'une «péripétie» pour cette haute distinction créée il y a plus de deux siècles, apolitique selon lui.

Le refus opposé par l'économiste intervient alors que son ouvrage «Le Capital au XXIème siècle» a été traduit en plusieurs langues et s'est vendu à 1,5 million d'exemplaires. Ce pavé de 970 pages, paru en septembre 2013, entend démontrer la tendance spontanée à une toujours plus grande concentration de la richesse entre quelques mains.

Le livre connaît un immense retentissement international. Notamment en Grande-Bretagne et aux États-Unis où ses explications sur le creusement des inégalités ont eu un écho considérable. Le livre a même valu à Thomas Piketty d'être reçu par des conseillers du président Barack Obama.

L'accueil réservé au livre a été plus tiède en France, notamment de la part du gouvernement, malgré de très fortes ventes.

Le ministre de l'Économie Emmanuel Macron a fait savoir cette semaine qu'il avait lu l'ouvrage et rencontrerait son auteur «dans les trois mois», tandis que le ministre des Finances Michel Sapin confiait à l'AFP vouloir mettre à profit les fêtes de fin d'année pour «s'attaquer» au livre qu'il qualifiait en juin de «trop lourd».