L'opposant numéro un au Kremlin, Alexeï Navalny, déjà condamné à des peines de prison avec sursis, risque une nouvelle condamnation lourde dans une affaire considérée par des analystes comme visant à faire taire l'opposition au moment où Vladimir Poutine est fragilisé par la crise économique.

Poursuivi dans une affaire de détournement d'argent au détriment d'une filiale de la société française Yves Rocher et assigné à résidence, le blogueur aux accents nationalistes et pourfendeur de la corruption sous l'ère Poutine saura le 15 janvier si le tribunal suit dans son jugement le réquisitoire du Parquet russe : dix ans de camp.

La possibilité d'une peine de prison ferme prononcée contre M. Navalny a aussitôt suscité des appels à manifester le jour du jugement.

Ces manifestations, si elles se tiennent, pourraient être la plus forte mobilisation contre Vladimir Poutine depuis que Moscou a été mis au ban des nations occidentales pour son rôle dans la crise ukrainienne.

Orateur efficace, «Alexeï Navalny comprend très bien l'état d'esprit de la société et sait quels slogans il faut proposer pour attirer les masses», surtout au moment où la «colère grandit contre les autorités» dans le pays frappé de plein fouet par les sanctions économiques occidentales, explique à l'AFP l'analyste Iouri Korgouniouk, du fonds Indem.

«C'est pourquoi l'État essaye de faire pression sur lui et sur toute l'opposition russe via Navalny», l'une de ses figures de proue.

Avocat de formation, M. Navalny est notamment accusé avec son frère Oleg - contre qui le Parquet a requis huit ans de camp - d'avoir détourné 27 millions de roubles (360 000 euros au cours de vendredi).

L'entreprise française avait pourtant indiqué par la voix de Christian Melnik, le directeur financier de sa filiale russe, n'avoir subi «aucun dommage» à la suite de sa collaboration avec la société de transport des frères Navalny, Glavpodpiska.

«La situation a changé»

«On va sûrement condamner Navalny, peut-être pas à dix ans de camp, mais ça sera un verdict de culpabilité prévoyant une peine réelle», estime l'analyste indépendant Dmitri Orechkine.

Déjà condamné à cinq ans de camp avec sursis en octobre 2013, pour une autre affaire de malversations, Alexeï Navalny n'a pas alors été placé derrière les barreaux, «parce que les autorités russes avaient besoin de lui», affirme-t-il.

M. Navalny, qui se portait candidat à la mairie de Moscou en automne 2013, «était notamment indispensable pour créer une apparence de véritable pluralisme lors de ce scrutin» remporté par le candidat du Kremlin, Sergueï Sobianine, et où l'opposant est arrivé en deuxième position, selon M. Orechkine.

«Mais la situation a changé. Les autorités russes n'ont plus besoin de le voir en liberté».

L'opposition s'apprête à manifester

Dans sa dernière déclaration vendredi, Alexeï Navalny, qui rejette toutes les accusations, a déclaré «ne pas se faire d'illusion» sur le jugement. Combien de fois dans sa vie une personne qui n'a rien fait de criminel ou d'illégal est censé s'exprimer une dernière fois devant une cour ? Zéro fois», a lancé M. Navalny dans la salle d'audience. «Mais pour moi, c'est déjà la sixième ou septième, peut-être même la dixième fois en deux ans», a-t-il dit.

Dès que la date de l'énoncé du jugement de M. Navalny a été fixée, ses partisans ont diffusé sur les réseaux sociaux un appel à «tous ceux qui ne sont pas indifférents aux principes de liberté et de justice» à se rassembler le même jour sur la place de Manège, à deux pas du Kremlin, pour demander la fin des poursuites contre l'opposant.

Les autorités russes ont réagi en annonçant le blocage sur les réseaux sociaux des appels à ce rassemblement «non autorisé», notamment une page sur Facebook, provoquant la colère des utilisateurs d'Internet. Mais les partisans de M. Navalny ont rapidement créé de nouvelles pages, dont certaines avaient déjà recueilli plus de 26 000 signatures lundi dans l'après-midi.

«Les gens se sentent offensés. Si la partie lésée dit n'avoir subi aucun dommage, mais que l'accusation requiert une telle peine, cela veut dire que n'importe qui en Russie peut être emprisonné sans aucune raison»,  a déclaré à l'AFP Alexeï Makarkine, analyste du Centre des technologies politiques.

«S'ils veulent manifester, ce n'est pas seulement pour Alexeï Navalny, mais aussi pour eux-mêmes, pour le respect de leurs droits», souligne-t-il.