Trois mois à peine après l'échec du Oui au référendum, un premier quotidien indépendantiste a été lancé en Écosse.

Drôle de moment, à première vue. Comme la cavalerie, The National, lancé il y a un mois, semble arriver une fois la bataille perdue. Mais selon le rédacteur en chef du journal, Richard Walker, c'est après le référendum - et non avant - que l'intérêt des Écossais pour l'indépendance est devenu vraiment manifeste.

«Après le vote, étrangement, l'atmosphère n'était pas celle que j'avais prévue, dit-il dans ses bureaux de Glasgow, où La Presse le rencontre. On a pu voir que la campagne référendaire avait changé l'Écosse et on essaie tous de comprendre de quelle façon. On sent encore beaucoup d'appétit et d'ambition pour ce pays.»

Vrai que le mouvement indépendantiste écossais semble aujourd'hui au plus fort. Le nombre de membres du parti nationaliste au pouvoir (SNP) a triplé depuis septembre. Et les ventes de l'hebdomadaire Sunday Herald, seul journal écossais à avoir appuyé le Oui, ont augmenté de 110% après le référendum.

Il n'en fallait pas plus pour que le groupe NewsQuest, qui possède le Sunday Herald et le Herald, décide de créer ce nouveau quotidien indépendantiste.

Un quotidien qui a sa place



Certains indépendantistes purs et durs ont crié à l'opportunisme et Walker - qui est aussi rédacteur en chef du Sunday Herald - évoque lui-même une décision d'affaires.

Cela dit, il ne fait aucun doute que le nouveau quotidien a sa place en Écosse, où 45% de la population a voté Oui, en dépit d'un puissant barrage médiatique contre l'indépendance. Hormis le Sunday Herald et quelques sites web engagés, le point de vue souverainiste avait en effet peu de plateformes pour se faire valoir pendant la campagne référendaire. On peut même se demander si l'issue du vote aurait été la même si The National avait été lancé un peu plus tôt.

Walker préfère ne pas y penser. Il sait seulement que la bataille n'est pas terminée et que son journal aura un rôle à jouer pour la suite des choses. Son plus gros défi, dit-il, sera de respecter le projet nationaliste sans avoir l'air de publier un dépliant promotionnel pour le SNP.

«Il ne faut pas avoir peur d'être critique, sinon ça ne sera qu'une feuille de propagande. Ce n'est pas le genre de journal qu'on veut être», souligne le rédacteur en chef.

«Nous allons rapporter des faits selon un certain prisme, c'est évident. Il y a des injustices dans la façon dont l'Écosse est traitée par Westminster et nous voulons parler de ça. Le pétrole, les réformes de l'assurance chômage, les coupes: ce sont des choses qui nous intéressent. Mais on ne veut pas marteler ces questions à nos lecteurs au point de les ennuyer. Il faut varier nos sujets. Penser à des façons d'intéresser des gens qui ne sont pas nécessairement pour l'indépendance.»

Un «work in progress»



Reste à voir comment le petit nouveau pourra survivre, dans une époque où la plupart des journaux ont tendance à fermer leurs portes.

La semaine de son lancement, The National s'est écoulé à 44 000 exemplaires par jour en moyenne. Puis, son tirage s'est stabilisé autour de 35 000, excluant les 11 000 abonnements en ligne. Lancé comme un ballon d'essai, le quotidien semble là pour rester.

Walker est conscient que son produit n'est pas encore au point. Son équipe est petite (environ 15 personnes, dont les chroniqueurs) et le rodage n'est pas terminé. Mais il se dit certain que le National trouvera son ton, d'autant que l'avenir s'annonce passionnant en politique écossaise, avec les élections prévues pour le mois de mai au Royaume-Uni.

«Il y a encore beaucoup de travail à faire, conclut-il. Ultimement, nous devrons survivre parce que nous sommes un bon journal. Indépendance ou non.»



Un groupe à deux têtes

The National est né d'une famille aux opinions politiques opposées. Son petit frère de 15 ans, l'hebdomadaire Sunday Herald, est le seul journal britannique à avoir soutenu l'indépendance. Son grand frère, le vénérable quotidien The Herald, qui existe depuis 1738, a pour sa part appuyé le Non.

Malgré leurs divergences idéologiques, les trois journaux partagent cependant la même salle de rédaction, ce qui explique pourquoi Walker refusera d'y être photographié. «Tout le monde ici ne travaille pas pour le même journal, dit-il. Allons plutôt dehors.» The National appartient au groupe NewsQuest, lui-même propriété de Gannett, qui possède 85 journaux aux États-Unis, dont USA Today.