Nicola Sturgeon deviendra aujourd'hui la nouvelle première ministre de l'Écosse. L'indépendance? Pas tout de suite.

Le nationalisme écossais a un nouveau visage. Après avoir récemment remplacé Alex Salmond comme chef du Parti national écossais (SNP), Nicola Sturgeon, 44 ans, deviendra aujourd'hui première ministre de l'Écosse (et la première femme à occuper ce poste).

En Grande-Bretagne, cette nomination n'étonne personne. Sturgeon était l'héritière désignée de Salmond, qui a donné sa démission en septembre à la suite de l'échec du Oui au référendum sur l'indépendance.

Pour la plupart des observateurs, c'était aussi le meilleur candidat possible pour prendre la relève. Sans être aussi flamboyante, incisive et redoutable que son mentor, Sturgeon est en effet une politicienne respectée, qui semble faire consensus.

«Elle a beaucoup des forces de Salmond, mais peu de ses faiblesses, affirme David Torrance, commentateur politique et auteur de la seule biographie sur Alex Salmond. C'est une bosseuse avec du charme, doublée d'une communicatrice efficace, mais elle est moins brute que lui. Elle a aussi un très bon jugement politique, même si elle a peut-être un peu moins de talents stratégiques.»

«En termes de pur leadership, il sera difficile de lui succéder, ajoute Dave Berry, membre du SNP pendant 38 ans. Pendant un temps, certains voudront sûrement la comparer à Salmond. Mais elle hérite d'une situation favorable, et elle est certainement assez brillante pour en tirer le meilleur parti.»

Un parti en expansion

Il est encore trop tôt pour savoir si l'élève dépassera le maître. Mais Sturgeon a de bonnes cartes en main.

Malgré la récente défaite du Oui au référendum (45% contre 55%), le parti nationaliste écossais n'a jamais semblé aussi puissant. Alors que les rivaux du Labour écossais sont au plus bas dans les sondages, les rangs du SNP viennent de tripler pour passer de 25 000 à 80 000 membres en deux mois, ce qui en fait le troisième parti en importance au Royaume-Uni.

L'Écosse pourrait aussi hériter de nouveaux pouvoirs à la suite des promesses faites par Westminster quelques jours avant le référendum. Cette «dévolution augmentée» - qui concerne essentiellement les taxes et les impôts - donnera plus de latitude à la nouvelle première ministre pour tirer son épingle du jeu et mener à bien ses politiques de justice sociale.

La tâche ne sera pas simple pour autant. En effet, elle hérite d'un parti en expansion, où les tensions s'annoncent vives entre les indépendantistes de la première heure et les nouveaux membres, plus modérés.

«Il lui faudra gérer la croissance subite du SNP, et cela pourrait lui donner quelques maux de tête, observe Jim Orr, conseiller municipal et ex-militant pour le Oui. Parce que plusieurs de ces nouveaux membres sont d'anciens militants déçus du Labour, l'ennemi traditionnel du SNP.»

Un long parcours

Malgré son jeune âge, Sturgeon semble avoir assez d'expérience pour relever le défi.

Membre du SNP depuis ses 16 ans (1986), cette notaire de profession a été successivement ministre de la Santé, des Infrastructures et des Villes, responsable du référendum et vice-première ministre pendant sept ans avant d'atteindre le plus haut plateau de la politique écossaise.

Comme si ce n'était pas assez, toute sa vie tourne autour de la politique. Elle est mariée depuis quatre ans à un haut placé du SNP (Peter Murrell), ce qui fait d'ailleurs craindre à certains que le «super-couple» prenne trop de place au sein du parti. Et dans ses temps libres, elle admet regarder Borgen, une télésérie inspirée par la vie de la première ministre danoise Helle Thorning-Schmidt.

Autre point en sa faveur, elle est plus rassembleuse que son prédécesseur, qui en rebutait certains par son arrogance.

«Elle est sûrement moins polarisante que Salmond quand vient le temps de débattre et de présenter les enjeux, souligne Nicola McEwen, professeure de sciences politiques à l'Université d'Édimbourg. Pendant la campagne référendaire, beaucoup de gens disaient qu'ils ne voteraient pas pour le Oui à cause d'Alex Salmond. Or, personne ne dirait ça de Nicola Sturgeon.»

Et la souveraineté?

De là à parler d'un autre référendum, il y a un pas...

Si Sturgeon n'écarte pas la possibilité d'un autre référendum, il serait étonnant qu'elle s'engage sur le terrain de la souveraineté d'ici les prochaines élections écossaises, en 2016. «Il faut laisser la poussière retomber», résume Dave Berry.

La première ministre se contentera plutôt de gouverner pour «tous les Écossais» (c'est elle qui le dit) en essayant d'obtenir le maximum de pouvoirs du gouvernement central, ce qui devrait faire patienter les indépendantistes purs et durs.

«Son défi est de garder le «rêve» en vie sans fragmenter la vaste coalition d'appuis à son parti. Il y a beaucoup de gens qui aiment être dirigés par le SNP, mais qui ne souhaitent pas nécessairement la séparation», explique David Torrance.

L'avenir s'annonce intéressant, malgré tout, en politique écossaise.

Si la tendance se maintient, le SNP pourrait en effet surprendre aux élections britanniques de 2015 et devenir à Londres ce que le Bloc québécois était à Ottawa, avec une cinquantaine de sièges (contre six actuellement). Le parti aurait ainsi la majorité au Parlement écossais et la balance du pouvoir au Parlement britannique, du jamais vu depuis le rétablissement du Parlement écossais, en 1999.

Ce n'est encore qu'une rumeur, mais Alex Salmond pourrait aussi retourner dans l'arène en briguant un siège à Westminster, ce qui laisse présager de savoureux débats en chambre. Non, l'Écosse n'a pas dit son dernier mot.