«Madame le président.» Pour ces mots lancés avec une pointe d'insolence à la députée socialiste Sandrine Mazetier, le député de l'UMP Julien Aubert vient d'être sanctionné et privé du quart de son indemnité parlementaire. Alors que le site MachoLand vient d'être lancé en France, le débat sur le sexisme est relancé, rapporte notre journaliste.

Trois jeunes Français ont lancé mardi dernier Macho Land, un site web qui a déjà réuni près de 6000 militants contre le sexisme. Ils ont épinglé le maire socialiste de Lyon Gérard Collomb, pour les propos qu'il a tenus en entrevue à L'Express au sujet de la nouvelle ministre de l'Éducation Najat Vallaud-Belkacem.

«C'est une communicante et une séductrice, mais elle doit se méfier des paillettes. [...] Je crois que François Hollande aime les jolies femmes», a-t-il déclaré.

Avec le député de l'UMP Julien Aubert, qui a défié sa collègue socialiste Sandrine Mazetier en l'appelant «madame le président», la semaine dernière, le débat sur le sexisme dans la politique française refait les manchettes.

«Du sexisme ordinaire qui se fait de manière anodine, déplore la députée du Parlement européen Karima Delli. On a encore ce genre de pratiques dans la sphère politique.»

Lors de la Journée de la femme, le 8 mars dernier, la jeune politicienne de 35 ans a lancé le site web «Et sinon, je fais de la politique», où des femmes politiciennes se prennent en photo avec une affiche indiquant les mots sexistes dont on s'est servi pour les insulter. «Elle n'a qu'à retourner à son repassage», peut-on y lire. «Toi et moi, on sait très bien comment tu es arrivée là.»

La députée Barbara Pompili, présidente du groupe écologiste à l'Assemblée nationale, a eu droit à un «Barbie fait de la politique».

Karima Delli, du parti Europe Écologie Les Verts, travaille beaucoup dans le domaine des fonds européens, ce qui lui a valu un «votre discours est très technique pour une femme».

Ces remarques «inacceptables ne sont pas sans impunité», dit celle qui est aussi la coordinatrice de la Commission Transports et Tourisme au Parlement européen. «Certains hommes considèrent que c'est de la blague.»

Mme Delli fait présentement circuler une pétition intitulée 50/50 pour que la moitié des futurs membres de la Commission européenne, en fonction à partir du 1er novembre, soient des femmes. Elle vante les pays scandinaves pour leur volonté «réelle au-delà des lois» par rapport à l'égalité et la parité.

Femmes et pouvoir

Plusieurs politiciens et politiciennes de différents partis soutiennent l'organisme Femmes et pouvoir, créé en 2012 par deux jeunes femmes. «Je me suis inspirée d'associations canadiennes et québécoises. J'ai notamment parlé à Élaine Émond», souligne l'une d'elles, Julia Mouzon.

Femmes et pouvoir offrent de la formation aux femmes qui veulent faire de la politique. «Nous avons un guide de la candidate.»

Les scandales médiatiques de sexisme en politique cachent de nombreux cas «de discrimination intestine» moins connus dans les conseils municipaux, souligne Julia Mouzon. «C'est une problématique collective et non individuelle que les femmes battantes ne doivent pas tourner en dérision. La dédramatisation est un gros danger.»

De son côté, Béatrice Toulon conseille des femmes politiques au sein de sa boîte de communication, Maestria Consulting.

L'an dernier, quand des femmes ont signé un manifeste «pour sortir la politique du Moyen-Âge» lors du forum national des femmes politiques, elle a fait valoir l'importance de s'affirmer. «Il y a un contexte favorable avec des politiques de parité qui n'existaient pas avant. Il faut s'en emparer», dit-elle. Et les revendiquer.

«Les hommes au pouvoir reproduisent le pouvoir entre hommes, dit-elle. La politique est la quintessence du pouvoir. C'est un full time job, le travail d'une vie.»

En moyenne, les hommes politiciens français sont âgés. «Ils sont là depuis 30 ans et ils ne veulent pas qu'une nouvelle loi les bloque.»

Adoptée en 2000, la Loi sur la parité en politique n'empêche pas les partis de mettre des femmes candidates dans des «circonscriptions non gagnables», déplore Mme Toulon. «On l'a vu lors des dernières élections sénatoriales.»

L'ancienne journaliste a bon espoir que les choses changent. «Il y a une prise de conscience des femmes qui est extraordinaire, dit-elle. Et il y a une solidarité qui transcende les partis et qui déstabilise même les hommes à gauche.»

La jeune génération

L'équipe du nouveau site web antisexisme Macho Land veut notamment sensibiliser les plus jeunes générations. Un homme de 22 ans compte parmi les trois idéateurs du projet. Il regrette que sa présence masculine donne de «la légitimité» au site antisexisme. «Comme les Blancs qui luttent contre le racisme.»

Macho Land se veut «un média d'interpellation» qui propose à ses militants de condamner les auteurs de gestes sexistes sur les réseaux sociaux. «On invite les gens à nous soumettre des actions, explique Elliot Lepers. C'est inacceptable que des gens entretiennent le doute sur la légitimité des femmes à exercer certaines fonctions.»

Selon lui, l'antisexisme «est un choix de société et un projet, comme l'est l'écologie».

Dans une longue décision alambiquée, l'Académie française peine à décider si le député de l'UMP Julien Aubert devait s'adresser à Sandrine Mazetier en tant que président ou présidente de séance. Les gardiens de la langue française veulent garder la neutralité (masculine en français) des fonctions publiques, mais disent comprendre le «désir légitime des individus de mettre en accord, pour les communications qui leur sont personnellement destinées, leur appellation avec leur identité propre».

Mise au point de l'Académie française

Dans une longue décision alambiquée, l'Académie française peine à décider si le député de l'UMP Julien Aubert devait s'adresser à Sandrine Mazetier en tant que président ou présidente de séance. Les gardiens de la langue française veulent garder la neutralité (masculine en français) des fonctions publiques, mais disent comprendre le « désir légitime des individus de mettre en accord, pour les communications qui leur sont personnellement destinées, leur appellation avec leur identité propre ».

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Sandrine Mazetier

« Des champions ne partagent pas le gâteau »

Le philosophe Vincent Cespedes a écrit un essai afin de « montrer l'entente tacite entre les hommes [pour] écarter les femmes du pouvoir ». Selon lui, il y a un « communautarisme masculin ». « Des champions ne partagent pas le gâteau », dit-il.

Q: Qu'entendez-vous par « communautarisme masculin »?

R: Mon avant-dernier livre s'intitule L'homme expliqué aux femmes. Un titre un peu racoleur. C'est plutôt « l'homme expliqué aux hommes ». [...] Je dénonce notre entente tacite d'écarter les femmes du pouvoir. Les hommes créent ce que j'appelle un « communautarisme masculin » [...] Quand Laurent Fabius lance à Ségolène Royal: « Qui va garder les enfants? », vous avez là toute la problématique. [...] C'est tout le symptôme à la fois rigolo et terrible qui renvoie la femme à son rôle de mère.

Q: Y a-t-il une amélioration?

R: Oui, mais cela patine un peu [...] Le mot « féminisme » est mal vu par les jeunes filles. Elles ne veulent pas se dire féministes. Elles ont l'impression qu'on semble en vouloir aux hommes quand on se dit féministe. [...] Et une arnaque qui marche bien auprès des femmes est le mythe de l'homme déboussolé, qui a besoin de temps pour s'habituer...

Q: Vous semblez pessimiste...

R: Non, je suis optimisme. La seule solution dans le communautarisme est qu'il y ait des traîtres à la communauté. [...] Des jeunes hommes, je pense. Des héros. Des traîtres à la condition masculine qui vont se faire attaquer quand ils vont dire: « Que ma collègue soit moins payée que moi, ça ne me va pas. » Je pense que le féminisme du XXIe siècle ne peut passer que si les hommes qui accèdent au pouvoir jouent le jeu de l'égalité et de l'équité.

Q: La société française est-elle plus sexiste ou machiste que d'autres?

R: Pas du tout. La société américaine est excellente là-dedans. [...] Deux ou trois femmes montent au pouvoir et ont de la publicité, mais regardez les chiffres et c'est une minorité qui est au pouvoir. En Amérique, les femmes s'occupent des enfants. L'équation est aussi forte qu'en France, mais de façon plus hypocrite.

Q: Vos propos profemmes vous attirent-ils des critiques?

R: Je ne suis pas profemme. Je suis projustice. [...] Les chiffres sont là. Il n'y a rien à discuter. Je le dis dans ma conférence. Les femmes gagnent en moyenne 27 % moins que les hommes. [...] Dans les médias, les experts sont des hommes dans 90 % des cas. Dans les musées, 92 % des oeuvres sont masculines.

Cinq scandales

« Qui va garder les enfants? »

En 2005, Ségolène Royal, alors en couple avec le président actuel François Hollande, annonce sa candidature présidentielle. Le ministre socialiste Laurent Fabius lance en boutade: « Qui va garder les enfants? » Avant lui, le politicien Jean-Luc Mélenchon avait allumé le scandale en affirmant que « la présidence  de la République n'était pas un concours de beauté ».

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Ségolène Royal

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Najat Vallaud-Belkacem

« Une séductrice »

En août dernier, Najat Vallaud-Belkacem devient la première femme ministre de l'Éducation lors d'un remaniement ministériel. On souligne alors son jeune âge, 36 ans. Des groupes de droite craignent l'impact de ses racines « marocaines musulmanes ». Interrogé par L'Express, le maire de Lyon et sénateur socialiste Gérard Collomb dit d'elle: « C'est une communicante et une séductrice, mais elle doit se méfier des paillettes. [...] Je crois que François Hollande aime les jolies femmes. »

La poule

L'an dernier, le député breton de l'UMP Philippe Le Ray sort d'un repas prétendument arrosé quand il se met à imiter une poule pendant que la députée écologiste de la Vienne Véronique Massoneau intervient au micro à l'Assemblée nationale, lors d'un débat sur les retraites. M. Le Ray a été sanctionné. Il a été privé du quart de son indemnité parlementaire pendant un mois, ce qui représente une somme de 1378 euros (près de 2000 $). La conférence de présidents de l'Assemblée a jugé que son geste était « sexiste ».

« Cette salope »

En 2007, Patrick Devedjian, de l'UMP, serre la main à son collègue Michel Harvard. « Cette salope », lance-t-il en parlant de sa rivale Anne-Marie Comparini. Le secrétaire général délégué de l'époque ne se doute pas que ses propos sont filmés par les caméras d'une chaîne de télévision lyonnaise.

La robe fleurie

Le 17 juillet 2012, Cécile Duflot, la ministre de l'Égalité des territoires et du Logement, porte une robe estivale fleurie. Elle s'attire des huées de certains députés de l'UMP en descendant les marches de l'Assemblée nationale pour aller parler au micro. « Peut-être avait-elle mis cette robe pour ne pas qu'on écoute ce qu'elle avait à dire? », commente alors le député Patrick Balkany. Scandale.