Au réveil, hier matin, les Français avaient deux élus du Front national au Sénat (FN). Une première présence du parti d'extrêmedroite au Sénat depuis le début du régime de la Ve République, en 1958.

L'unique règne de la gauche à la Haute Assemblée de France n'aura duré que trois ans. Au terme des élections sénatoriales, qui avaient lieu dimanche, la droite a repris comme prévu le contrôle du Sénat (190 sièges contre 156).

Cela confirme à la fois la faible popularité du président François Hollande, le retour en force de l'Union pour un mouvement populaire (UMP) et la montée du FN. Le parti de Marine Le Pen a obtenu quatre fois plus de votes que prévu, après avoir ravi en mars dernier une douzaine de villes lors des élections municipales.

«Certes, c'est historique, mais le Front national a été favorisé par le mode de scrutin proportionnel et par une conséquence mécanique des élections municipales, nuance le professeur à Sciences Po Martial Foucault, qui a aussi enseigné sept ans à l'Université de Montréal. Il ne faut pas ignorer le phénomène, mais aucun sénateur du FN n'aurait pu être élu avec un mode de scrutin majoritaire.»

Selon le politologue, les sénatoriales marquent surtout le retour de la droite centriste «avec un bon réseau d'élus locaux pour la présidentielle de 2017».

«Pour l'UMP, c'est une excellente nouvelle, confirme Bruno Cautrès, collègue de Sciences Po. Mais quelque chose est en train de se passer avec le Front national qui intègre progressivement des institutions démocratiques. C'est la stratégie de Marine Le Pen, et ce n'était pas celle de son père.»

Climat de morosité

À Paris, la percée de l'extrêmedroite au Sénat ne suscite pas trop d'inquiétude; elle alimente plutôt le climat de désaffection et de morosité des gens. «C'est du dépit. Les gens ne se reconnaissent pas dans la société d'aujourd'hui», a lancé à La Presse Jenny Poulin, d'un air découragé.

Les sénatoriales - et leur système de vote alambiqué - intéressent plus ou moins les Français.

Dimanche, la moitié des 154 000 grands électeurs étaient appelés aux urnes, pour élire la moitié des 348 sièges du Sénat (dont 119 avec un vote proportionnel).

Près de la moitié des grands électeurs, formés d'élus locaux, ne sont associés ni à la droite ni à la gauche, explique Martial Foucault. «Dimanche, beaucoup d'élus ont sanctionné les sénateurs de gauche par rapport aux coupes budgétaires et à la réforme territoriale [du premier ministre] Manuel Valls», indique le politologue.

Dimanche, le FN a obtenu 3972 votes de la part des grands électeurs, soit quatre fois plus que sa part de vote acquise. Le FN a donc obtenu des appuis au-delà de son camp. «C'est une dynamique nouvelle», indique Martial Foucault.

Les deux sénateurs frontistes élus proviennent du sud de la France. Stéphane Ravier, 45 ans, est conseiller régional et maire du 7e secteur de Marseille. Quant à David Rachline, maire de Fréjus, il devient à 26 ans le plus jeune élu du Sénat.

«C'est une grande victoire. Il se passe quelque chose. C'est une marche psychologique supplémentaire que nous venons de franchir, a déclaré Marine Le Pen au Monde. À chaque scrutin, c'est la même chose, nous sommes la surprise.»

De la théorie à la pratique

Martial Foucault croit que les Français pourront maintenant voir «comment le Front national peut exercer le pouvoir» et passer de la théorie à la pratique.

Demain, les sénateurs éliront un nouveau président de la Haute Assemblée qui succédera au socialiste Jean-Pierre Bel et qui sortira des rangs de l'UMP, en pleine course à la direction. Les candidats: Gérard Larcher, «un homme de compromis», et Jean-Pierre Raffarin, «clairement engagé du côté de Nicolas Sarkozy», indique Bruno Cautrès.

«Ce sera intéressant de voir si le Sénat se positionnera vers le camp Sarkozy», conclut le politologue.