Le gouvernement conservateur espagnol a annoncé mardi l'abandon de son projet de loi supprimant le droit à l'avortement, qui avait suscité la polémique jusqu'au sein du pouvoir, entraînant la démission du ministre de la Justice, porteur du projet.

«Nous allons continuer à étudier les voies qui permettront à la réforme d'être mieux acceptée, mais pour l'instant, j'estime avoir pris la décision la plus sensée», a déclaré à la mi-journée le chef du gouvernement Mariano Rajoy.

Quelques heures plus tard, son ministre de la Justice Alberto Ruiz Gallardon, très ému, annonçait sa démission, reconnaissant «ne pas avoir été capable» de mener le projet, adopté il y a neuf mois en Conseil des ministres, jusque devant le Parlement.

À 55 ans, Alberto Ruiz Gallardon, un représentant de la frange la plus conservatrice de la droite espagnole, qui fut maire de Madrid entre 2003 et 2011, avant de devenir ministre, a aussi annoncé son retrait de la vie politique.

C'est à la volée, devant les micros qui le suivaient sur un évènement protocolaire, que Mariano Rajoy a sonné le glas d'un projet qui a provoqué une levée de boucliers à gauche et au centre, en Espagne et même au-delà.

Ce texte n'autorisait l'avortement qu'en cas de danger prouvé pour la vie ou la santé physique ou psychologique de la femme, ou après un viol, mais excluait les cas de malformation du foetus comme motif valable. En vertu de la loi actuelle, votée sous le gouvernement socialiste en 2010, les femmes en Espagne peuvent avorter jusqu'à 14 semaines de grossesse.

Finalement, le gouvernement ne retouchera que l'un des points les plus polémiques du texte, celui qui permettait aux mineures d'avorter sans l'autorisation de leurs parents.

Appels à la démission

L'opposition de gauche et les associations de défense de la femme se sont aussitôt félicitées, le sujet arrivant au sommet des thèmes les plus débattus sur Twitter en Espagne. Tous réclamaient la démission du ministre de la Justice, qui affirmait encore récemment que la loi serait votée avant la fin de l'été.

«La loi sur l'avortement de Gallardon est retirée grâce à la lutte de tous», se réjouissait le chef des socialistes, première force d'opposition, Pedro Sanchez.

«C'est une bonne nouvelle pour l'Espagne ainsi que pour les pays voisins», réagissait Isabel Serrano, porte-parole d'une plateforme pour l'avortement «Decidir nos hace libre» («Décider nous rend libres»).

«Nous revenons au point que nous n'aurions jamais dû quitter : au cadre européen dans lequel on respecte la décision de la femme et surtout dans lequel l'avortement se fait dans des conditions sûres et égalitaires», ajoutait-elle.

L'adoption du projet le 20 décembre 2013 avait suscité des réactions y compris en dehors des frontières de l'Espagne, les socialistes français ayant été parmi les plus virulents.

Si une réforme de la loi sur l'avortement était une promesse électorale phare des conservateurs du Parti populaire (PP) en 2011, leur programme n'en détaillait pas le contenu.

«Trahison»

Beaucoup d'électeurs du PP et une partie de ses dirigeants ne s'attendaient qu'à une retouche de la loi similaire à celle finalement annoncée, centrée sur les mineures, selon le journal de centre droit El Mundo, qui avait annoncé il y a dix jours que le gouvernement comptait finalement retirer son projet.

Plusieurs figures du parti s'étaient publiquement prononcées contre ce texte. Un sondage publié par le journal en janvier montrait que la majorité des électeurs du PP (53 %) le rejetait.

«C'est une loi compliquée, sensible socialement», avait reconnu vendredi la numéro deux du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria.

Les rumeurs sur un retrait avaient provoqué la colère des opposants à l'avortement, qui ont manifesté dimanche à Madrid aux cris de «S'ils les tuent, ne vote pas pour eux!».

Les prochaines échéances des municipales et régionales de 2015 ont effrayé le gouvernement, affirmaient-ils.

Dénonçant une «trahison» des électeurs qui lui ont donné la majorité absolue au Congrès en 2011, la porte-parole de la plateforme des opposants à l'avortement «Derecho a Vivir» («Droit à la Vie), Gador Joya, a mis en garde Mariano Rajoy, assurant qu'il «ne s'en tirera pas comme ça» : «Il va faire face à une campagne très dure pour que les Espagnols lui retirent leurs suffrages».