Le président élu turc Recep Tayyip Erdogan a abandonné mercredi la direction du parti islamo-conservateur au pouvoir, mais promis que son dauphin désigné et futur premier ministre Ahmet Davutoglu poursuivrait la même politique, sous son autorité.

Le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu a été élu mercredi sans surprise chef du parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie en remplacement du premier ministre et président élu, Recep Tayyip Erdogan.

La désignation de M. Davutoglu, 55 ans et candidat unique, a été confirmé lors d'un congrès extraordinaire du Parti de la justice et du développement (AKP) à Ankara. Il devrait être nommé premier ministre dès jeudi et, ainsi que l'a précisé M. Erdogan, former un nouveau gouvernement vendredi.

À la veille de son investiture à la tête de l'État, l'homme fort du pays a conclu son règne de onze ans à la tête du gouvernement et du Parti de la justice et du développement (AKP) devant quelque 40 000 partisans rassemblés dans une salle des sports surchauffée d'Ankara pour introniser son successeur.

Lors d'un discours de plus de deux heures, M. Erdogan, dénoncé comme un autocrate par ses adversaires, a assuré que son parti n'était pas celui «d'un seul homme» et que M. Davutoglu ne serait pas sa marionnette.

«Les noms n'ont pas d'importance. Les noms changent aujourd'hui, mais l'essence, la mission, l'esprit, les objectifs et les idéaux (que nous défendons) restent», a-t-il lancé.

Cofondateur de l'AKP en 2001, le président élu a conclu son propos sur une note d'émotion, accueillie par les larmes de nombreux militants.

«L'AKP est mon cinquième enfant. Le temps de dire au revoir est arrivé. Vous savez combien il est difficile pour moi de partir», a-t-il déclaré, «mais je vais rester en contact avec vous, peut-être moins fréquemment qu'avant».

Dès son arrivée au congrès de son parti, M. Erdogan a confirmé sa volonté de garder les rênes du pays. «Ce n'est pas un adieu. Nous allons continuer à servir notre peuple, d'Edirne (ouest) à Hakkari (est)», avait-il dit.

À la tête du gouvernement depuis 2003, M. Erdogan, 60 ans, a été élu haut la main président de la République le 10 août en recueillant 52 % des voix dès le premier tour d'un scrutin disputé pour la première fois au suffrage universel direct.

Contraint d'abandonner son poste de premier ministre en juin 2015 en raison d'une règle de l'AKP qui interdit à ses élus de faire plus de trois mandats, M. Erdogan a répété qu'il comptait garder les rênes du pouvoir en modifiant la Constitution et en renforçant les pouvoirs de sa fonction, jusque-là essentiellement protocolaires.

Allégeance

Cet objectif, dénoncé par l'opposition comme une nouvelle preuve de la dérive «autoritaire» et «islamiste» de M. Erdogan, passe par une très large victoire de l'AKP aux législatives de 2015. La majorité des deux tiers (367 sièges sur 550) est nécessaire pour modifier la loi fondamentale. L'AKP n'en dispose «que» de 313 aujourd'hui.

«Les élections de 2015 sont très importantes pour nous, parce que nous voulons changer la Constitution», a-t-il souligné mercredi.

Âgé de 55 ans, M. Davutoglu est depuis 2003 l'un des plus proches collaborateurs de M. Erdogan. D'abord conseiller diplomatique puis ministre des Affaires étrangères (2009), cet universitaire a théorisé puis mis en oeuvre une diplomatie active qui a refait de la Turquie un acteur de poids sur la scène internationale.

Cette politique «néo-ottomane» résumée par la formule «zéro problème avec les voisins» a toutefois subi des revers depuis les «printemps arabes» et mis la Turquie en difficulté dans les conflits qui secouent ses voisins syriens et irakiens.

Sitôt nommé à sa succession, M. Davutoglu, un musulman intransigeant, a fait acte d'allégeance et de fidélité à M. Erdogan.

«Je vais continuer le mouvement de restauration engagé il y a douze ans (...) aucune graine de discorde ne peut être plantée entre nous», avait-il assuré la semaine dernière.

Répondant aux critiques de l'opposition, M. Erdogan s'est défendu mercredi de vouloir exercer toute autorité sur son successeur.

«Je voudrais insister là-dessus», a-t-il souligné, «Davutoglu n'est pas un intérimaire. Tout le monde doit le savoir».

Selon les indiscrétions parues dans la presse turque, la nouvelle équipe ministérielle menée par Davutoglu doit conserver les actuels responsables de sa politique économique pour rassurer les marchés. Elle doit surtout faire la part belle aux fidèles de M. Erdogan, qualifié de «maître» sur les banderoles déployées mercredi à Ankara.