Un ministre de l'Économie qui conteste la politique économique d'austérité de son gouvernement. Un premier ministre qui veut établir son autorité. Un président affaibli politiquement. Plus divisée que jamais, la gauche française doit former un deuxième gouvernement en moins de cinq mois.

«C'est lui ou moi!»*

L'homme qui parle, c'est le premier ministre français Manuel Valls, qui s'adresse au président François Hollande. Et «lui», c'est le ministre de l'Économie Arnaud Montebourg. Ou plutôt ex-ministre depuis hier, puisqu'il a critiqué une fois de trop, au cours du week-end, les politiques économiques d'austérité du gouvernement socialiste.

Résultat: la France aura ce matin un nouveau gouvernement (mais toujours socialiste). Après le gouvernement Valls, qui a duré 147 jours - le plus court de l'histoire de la Ve République en excluant les gouvernements de transition -, le premier ministre Manuel Valls formera ce matin son deuxième gouvernement en moins de cinq mois. Et ce sera sans Arnaud Montebourg, sans le ministre de l'Éducation Benoît Hamon et sans la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, qui ont tous trois annoncé hier leur départ.

L'origine de cette crise: les politiques d'austérité de la France, «inefficaces», «absurdes» et «injustes», qui sont «la cause de la prolongation et de l'aggravation inutiles de la crise économique», selon Arnaud Montebourg. L'ex-ministre de l'Économie dit s'être «battu inlassablement» pour convaincre François Hollande d'adopter une stratégie budgétaire différente. L'Europe impose à la France de ramener son déficit à 3% de son PIB d'ici 2015, ce qui force le gouvernement à réduire ses dépenses. Mais l'économie de la France n'a pas connu de croissance en 2014 (0%), et le taux de chômage reste élevé (10,1%).

Ce changement de gouvernement est-il seulement l'affaire d'une divergence sur le plan économique? «Le conflit de fond sur la politique économique n'est pas si clair qu'on le dit, explique Thierry Pech, directeur général de Terra Nova, un institut politique de gauche. Ça fait plusieurs semaines que des membres du gouvernement disent que l'objectif du déficit à 3% du PIB ne peut être atteint. Il faut soupçonner une opération politique.»

Un jeu politique, donc, entre Arnaud Montebourg (troisième à la primaire du Parti socialiste pour la présidentielle de 2012, derrière François Hollande et Martine Aubry) et le premier ministre Manuel Valls, qui avait prévenu ses ministres qu'il ne tolérerait pas de contestation publique, contrairement à son prédécesseur Jean-Marc Ayrault. «C'est Manuel Valls qui a demandé, voire imposé ce remaniement, affirme Fabien Escalona, chercheur à l'Institut de sciences politiques de Grenoble. Plus tôt ce week-end, l'Élysée avait minimisé l'affaire. C'est le style politique [de Manuel Valls]. En France, on a parfois des politiciens avec un côté bonapartiste. Mais il y a aussi une logique à l'éviction d'Arnaud Montebourg: c'est le ministre de l'Économie qui est en désaccord avec la politique économique du gouvernement...»

À l'approche de la moitié de son quinquennat, cet automne, François Hollande doit donc gérer une crise politique qui fragilisera ses appuis dans son propre parti. Les socialistes détiennent la majorité par un seul député à l'Assemblée nationale (290 députés sur 577); le gouvernement est aussi ouvertement aux prises avec un groupe de députés socialistes «frondeurs», dont le nombre varie entre 20 et 40. Contre la droite, le gouvernement pourrait compter en théorie sur le soutien d'autres partis, mais sa marge de manoeuvre reste mince.

L'intellectuel de gauche Thierry Pech rappelle que ce serait «prendre un risque historiquement important» pour les députés socialistes frondeurs de risquer de faire tomber le gouvernement et provoquer des élections législatives, où la droite partirait favorite. «Jusqu'ici, les frondeurs ont été terrorisés à l'idée de faire tomber le gouvernement», ajoute le chercheur Fabien Escalona

Ironie du sort, Arnaud Montebourg et Manuel Valls, qui incarnent des courants de pensée différents au sein du Parti socialiste, s'étaient rapprochés au début de l'année 2014, alors qu'ils étaient deux ministres ambitieux au sein d'un gouvernement Ayrault en difficulté. Quand Manuel Valls a été promu premier ministre, au printemps, il a fait d'Arnaud Montebourg un poids lourd de son gouvernement. «Les alliances négatives sont rarement durables», rappelle Thierry Pech.

* Paroles prononcées par Manuel Valls lors d'une discussion avec le président François Hollande, selon le quotidien Le Parisien, qui se base sur «l'un des plus proches» du premier ministre.