Chaussures à talons hauts, espadrilles, sandales, pantoufles... Les photos de chaussures ont déferlé hier sur les réseaux sociaux en provenance de Turquie. Objectif: appuyer une députée qui, excédée du sexisme affiché par ses collègues, a menacé de leur balancer sa chaussure à la figure. Retour sur une polémique symptomatique d'un pays divisé.

Ne comptez pas sur Aylin Nazliaka pour s'excuser. Mardi, cette députée du Parti républicain du peuple a piqué une colère en plein parlement turc, accusant les membres du parti du président Recep Tayyip Erdogan de discrimination envers les femmes.

«Je le jure devant Dieu, le diable qui est en moi me demande d'enlever l'une de mes chaussures et de vous la jeter. Mais lorsque je les regarde, mes chaussures et vous, je me dis vraiment que vous n'en valez pas la peine», a-t-elle lancé.

Un jour plus tard, jointe par La Presse, Mme Nazliaka n'avait pas décoléré.

«En Turquie, lancer sa chaussure est une façon d'insulter quelqu'un. Mais on me lançait des mots très durs pendant que je parlais. On m'a insultée, je les ai insultés, et ils ont arrêté», résume Mme Nazliaka.

Ce qu'on pourrait appeler «l'incident de la chaussure» est survenu lorsque Mme Nazlika a proposé une loi pour redonner le droit de vote aux quelque 2400 femmes victimes de violence conjugale hébergées dans des refuges de l'État. Le gouvernement turc ne permet pas à ces femmes de voter sous prétexte qu'elles n'ont pas d'adresse.

La motion de Mme Nazliaka a été battue par le parti de Recep Tayyip Erdogan. Premier ministre de la Turquie depuis 2003, Erdogan a été élu président dimanche dernier. Mais dans un pays de tradition séculaire, sa gouvernance teintée d'islam irrite les forces progressistes du pays, dont les féministes.

«La situation n'a jamais été aussi mauvaise pour les femmes en Turquie qu'actuellement. Jamais», tonne Mme Nazliaka.

Les faits semblent lui donner raison. En 2011, des chiffres du ministère de la Justice montraient que le taux de meurtre envers les femmes avait augmenté de 1400% entre 2002 et 2009. La Turquie a signé une convention européenne sur la prévention de la violence faite aux femmes en 2012, mais le niveau de violence conjugale y reste «endémique», selon Human Rights Watch.

Le mois dernier, le vice-premier ministre Bülent Arinç a aussi provoqué une polémique en disant qu'il devrait être interdit aux femmes de rire sans retenue en public.

«Ce genre de déclarations qui vont à l'encontre de l'égalité entre les hommes et les femmes a des impacts très profonds sur la société turque», dit Mme Naliaka.

Ce qui suscite son espoir est la réaction des Turques. La déclaration du vice-premier ministre a inondé les réseaux sociaux de photos de femmes en train de rire aux éclats. Hier, de multiples photos de chaussures ont déferlé sur Twitter sous le mot-clé geliyorterlik (la pantoufle arrive).

«La révolution a démarré il y a quelques années et devient de plus en plus forte», avertit Mme Naliaka.

Photo ADEM ALTAN, AFP

Manifestation tenue le 2 août dans un parc d'Ankara pour dénoncer le vice-premier ministre, selon qui il devrait être interdit aux femmes de rire aux éclats en public.