Le premier ministre turc et candidat à l'élection présidentielle de dimanche Recep Tayyip Erdogan a suscité mercredi une nouvelle polémique en assimilant à une insulte le fait que ses rivaux lui ont attribué des origines arméniennes.

«Certains ont dit que j'étais d'origine géorgienne. Et, encore plus déplaisant, ils ont prétendu, excusez-moi, que j'étais arménien. Autant que je le sache de mon père et de mon grand-père, je suis turc», a déclaré M. Erdogan lors d'un entretien télévisé diffusé mardi soir par la chaîne d'information NTV.

La petite phrase du grand favori du scrutin présidentiel, qui dirige le pays depuis 2003, a sans surprise provoqué l'indignation sur les réseaux sociaux.

Un député influent du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), Hürsit Günes, a dès mercredi déposé une plainte en Justice contre le chef du gouvernement pour «propos racistes», a rapporté le quotidien Milliyet.

«Excuse-moi, mais va-t'en et deviens le président d'un autre pays», lui a lancé sur Twitter un journaliste turc d'origine arménienne, Hayko Bagdat.

«Il est déplaisant d'être un Arménien ou bien est-ce que c'est une honte ? S'il vous plaît, expliquez-vous, maintenant !», a renchéri sur les réseaux sociaux une présentatrice de la chaîne de télévision privée CNN-Türk, Nevsin Mengu.

Même le Parti de l'action nationaliste (MHP), pourtant peu suspect de brader le prestige de la Turquie, a tiré à boulets rouges sur le premier ministre.

«Nous avons des nouvelles du XXIe siècle à faire passer à Erdogan : être arménien n'est pas un crime, une faute déplaisante, embarrassante ou coupable. Ses paroles constituent un crime d'incitation à la haine puni par nos lois», a écrit le mouvement d'opposition.

Maladie du dirigeant fou

La déportation et le massacre de plusieurs centaines de milliers d'Arméniens par les troupes de l'Empire ottoman en 1915, qu'Ankara refuse de considérer comme un génocide à l'inverse de nombreux autres pays, est un sujet sensible en Turquie.

M. Erdogan a présenté en avril des condoléances inédites à la communauté arménienne de Turquie, niant cependant tout génocide.

Depuis le début de sa campagne présidentielle, M. Erdogan, 60 ans, connu pour sa rhétorique volontiers clivante et provocatrice, a multiplié les références ethniques et confessionnelles dans ses discours.

Le week-end dernier, il a exhorté le chef du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, à revendiquer sa confession alévie, une minorité musulmane progressiste, et a rappelé la sienne. «Kiliçdaroglu, toi, tu peux être alévi. Je te respecte. N'hésite pas, n'aie pas peur. Affirme-le sans crainte. Moi, je suis sunnite.»

L'électorat turc est très majoritairement conservateur et sunnite.

M. Erdogan a également publiquement désigné comme «l'Égyptien» son principal rival à la présidentielle, le candidat d'opposition Ekmeleddin Ihsanoglu, qui a étudié au Caire. Et il a souligné que son troisième adversaire à ce scrutin, le Kurde Selahattin Demirtas, appartenait en fait à l'ethnie zaza.

«Oui, Kiliçdaroglu est alévi, Demirtas est zaza et Ihsanoglu est égyptien et vous êtes un voleur», a titré en «une» cette semaine le quotidien de gauche BirGun, en référence au scandale de corruption qui vise M. Erdogan et plusieurs de ses proches.

Le premier ministre a tous les symptômes de la «maladie du dirigeant fou», a renchéri mercredi la députée d'opposition Aytun Ciray.