Premier ministre islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan a fait mardi son entrée très attendue dans la course à la présidentielle d'août, avec l'ambition affichée de perpétuer à la tête de l'État son règne sans partage de onze ans sur la Turquie.

Point final d'un vrai-faux suspense entretenu depuis plusieurs mois, M. Erdogan, 60 ans, a été officiellement proclamé candidat de son Parti de la justice et du développement (AKP) sous les vivats de plus de 4000 partisans enthousiastes réunis à Ankara, et quelques larmes d'émotion de son épouse Emine.

Sitôt investi, il a confirmé son intention de conserver les rênes du pays depuis son nouveau poste, pour la première fois attribué au suffrage universel direct.

«Être élu par le peuple donne à la fonction une légitimité démocratique, a plaidé le chef du gouvernement. Après mon élection, nous allons poursuivre les consultations (avec l'AKP), marcher ensemble (...) pour construire la nouvelle Turquie».

«Allah (Dieu) est le seul et unique détenteur de cette victoire», a poursuivi M. Erdogan dans un discours truffé de références religieuses qui suggère le modèle de présidence très «politique» qu'il entend instaurer.

Comme le suggèrent tous les sondages, l'homme fort de la Turquie devrait être élu pour cinq ans et devenir ainsi le dirigeant qui a régné le plus longtemps sur le pays depuis le fondateur de la République turque Mustafa Kemal Atatürk.

Sa candidature au scrutin des 10 et 24 août ne faisait plus guère de doutes depuis la victoire éclatante de l'AKP aux municipales du 30 mars, malgré les critiques et un scandale de corruption sans précédent.

L'actuel chef de l'État Abdullah Gül, absent de la grand-messe de mardi, avait lui-même levé les derniers doutes en renonçant publiquement dimanche à un second mandat.

Contraint par une règle interne du parti de quitter la tête du gouvernement à l'issue des élections législatives de 2015, M. Erdogan a fait savoir depuis des mois qu'il n'entendait pas mettre un terme à sa carrière politique.

«Régime d'un seul homme»

Souvent décrit, par ses partisans comme ses rivaux, comme le nouveau «sultan» de la Turquie, M. Erdogan reste de loin l'homme politique le plus populaire d'un pays à majorité conservatrice et attachée à la religion musulmane.

S'il est considéré comme l'artisan du développement économique de la Turquie depuis le début des années 2000, il en est aussi devenu sa figure la plus contestée.

Depuis la fronde de juin 2013, de nombreux Turcs lui reprochent sa dérive «autoritaire» et «islamiste» et dénoncent la corruption de son régime. La violente répression des manifestations qui le défient dans la rue et ses dernières lois renforçant le contrôle d'internet ou de la justice lui ont aussi valu les critiques de ses alliés européens.

Mardi, M. Erdogan a promis d'être un président de tous les Turcs. «Je serai un président qui unira le peuple et l'État», a-t-il dit.

Mais il a aussitôt ajouté qu'il poursuivrait «sans relâche» la chasse engagée contre ses ex-alliés du mouvement de l'imam Fethullah Gülen, accusés de comploter contre lui...

La Constitution de 1982 accorde au chef de l'État des prérogatives largement honorifiques, mais le premier ministre a clairement confirmé qu'il ne s'en satisferait pas. «Le poste de président n'est pas un poste pour se reposer», a-t-il dit.

«Le président sera une part intégrante de l'exécutif, ce ne sera pas comme avant un poste protocolaire», a confirmé le vice-président de l'AKP Nurettin Canikli.

Même s'il n'a pas réussi en 2013 à changer la constitution, M. Erdogan conserve une influence considérable au sein de son parti et devrait pousser à la nomination d'un premier ministre à sa main, pronostiquent les analystes.

«La Turquie se laisse entraîner à grands pas vers un régime d'un seul homme», a prédit  l'éditorialiste du quotidien libéral Hürriyet, Mehmet Yilmaz.

Le candidat choisi par les deux grands partis d'opposition, Ekmeleddin Ihsanoglu, un intellectuel de l'islam de 70 ans inconnu du grand public, ne semble pas en mesure de lui barrer la route de la présidence.

Dans ce combat à armes inégales, l'opposition a exigé que M. Erdogan quitte son poste de premier ministre pour faire campagne.

«Quelqu'un qui ment, qui n'est pas d'une moralité irréprochable (...) ne peut pas être candidat à la présidentielle», a tranché le chef du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) Kemal Kiliçdaroglu, «nous allons être la honte du monde entier».