La France peut interdire la gestation pour autrui (GPA) sur son territoire, mais elle ne peut refuser de reconnaître les enfants nés de mère porteuse à l'étranger, a estimé jeudi la Cour européenne des droits de l'Homme dans un arrêt qui fera jurisprudence.

Tout en se gardant de se prononcer sur le choix des autorités françaises d'interdire la GPA, la Cour a estimé que leur refus de transcrire des actes de filiation réalisés aux États-Unis à la suite de naissances par mère porteuse portait atteinte à «l'identité» des enfants.

Elle a en outre estimé qu'«interdire totalement l'établissement d'un lien de filiation entre un père et ses enfants biologiques» était «contraire» à la convention européenne des droits de l'Homme.

La CEDH était saisie par deux couples de parents, qui se heurtent au refus de faire transcrire dans l'état civil français les actes de naissance de leurs enfants nés par GPA aux États-Unis.

Depuis près de 14 ans, les époux Mennesson, qui résident à Maisons-Alfort, près de Paris, se battent pour être les parents légaux de leurs jumelles, nées en Californie le 25 octobre 2000 d'une mère porteuse américaine.

L'autre famille requérante, qui réside en région Midi-Pyrénées (sud), présente un cas similaire : leur fille est née en octobre 2001 dans le Minnesota, également d'une mère porteuse.

Dans les deux cas, les embryons avaient été conçus avec des spermatozoïdes du mari et les ovocytes d'une donneuse.

À leur retour en France, où la GPA est interdite, la justice avait contesté l'inscription à l'état civil des fillettes.

La décision de la CEDH, qui se prononce pour la première fois sur un tel dossier, est «une immense victoire», s'est réjoui l'avocat des époux Mennesson Me Patrice Spinosi, pour qui «la jurisprudence de la Cour de cassation vient d'être battue en brèche».

La plus haute juridiction française avait opposé en 2011 une fin de non-recevoir aux deux couples en estimant que leurs actes de filiation étrangers heurtaient des «principes essentiels du droit français».

Les parents soulagés

Selon Me Spinosi, l'arrêt de la CEDH «fera évidemment jurisprudence en France et ailleurs».

La Cour y admet que la France a pour buts «légitimes» la protection de la santé et des droits et des libertés d'autrui.

Elle relève aussi que le refus des autorités françaises de reconnaître les filiations d'enfants nés par GPA à l'étranger «procède de la volonté de décourager ses ressortissants de recourir hors de France à une méthode de procréation qu'elle prohibe sur son territoire».

Certes, les deux couples concernés mènent une vie familiale «dans des conditions globalement comparables» à celles d'autres familles en France, constatent les juges.

Mais leurs enfants se trouvent «dans une situation d'incertitude juridique», qui «porte atteinte à leur identité au sein de la société française» et les empêchera le jour venu d'hériter dans des conditions aussi favorables que d'autres, déplorent les juges.

«On ne saurait prétendre qu'il est conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant de le priver d'un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie» au moins avec leur père, note encore la Cour : sur ce point, la France est allée «au-delà de ce que lui permettait sa marge d'appréciation».

Elle a décidé d'allouer à chacun des enfants 5000 euros au titre du dommage moral.

«C'est un très grand soulagement», s'est réjoui Dominique Mennesson, le père des jumelles qui a désormais la possibilité de faire reconnaître sa paternité.

Il a également appelé la France à «ne pas contester cette décision» : elle a théoriquement le droit dans un délai de trois mois de demander un renvoi de l'affaire devant l'instance suprême de la CEDH, la Grande Chambre.

Selon Me Spinosi, «2000 enfants en France sont placés dans une situation identique à celle des filles Mennesson».

Trois autres affaires similaires visant la France sont actuellement pendantes devant la CEDH, qui est également saisie du refus des autorités italiennes et belges de reconnaître des GPA étrangères.

Totalement interdite en France et dans une majorité d'autres États de l'UE, la GPA est autorisée pour les couples hétérosexuels dans certains pays en Europe, comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.