Le juge qui mène l'enquête pour corruption impliquant la soeur du roi d'Espagne pourrait demander mercredi que l'infante Cristina et son époux soient jugés, ouvrant la perspective, encore incertaine, d'un procès retentissant, aux conséquences imprévisibles pour l'image de Felipe VI.

Depuis deux ans et demi, le couple, écarté des activités officielles de la Famille royale, est au coeur du scandale qui a contribué à faire plonger la popularité de la couronne d'Espagne, jusqu'au coup de théâtre le plus spectaculaire : l'annonce le 2 juin, par le roi Juan Carlos, de son abdication.

Ce 19 juin, Cristina, âgée de 49 ans, qui longtemps incarna l'image d'une princesse moderne et insouciante, était la grande absente de l'hémicycle du Congrès des députés, à Madrid, où son jeune frère, Felipe, promettait en prêtant serment de défendre une monarchie «intègre, honnête et transparente».

Pour Felipe, âgé de 46 ans, les retombées de cette affaire, dans laquelle l'infante est inculpée de fraude fiscale et blanchiment de capitaux, constitueront l'une des premières embûches de ce délicat début de règne.

Car malgré la distance qui s'est installée au sein de la famille, il reste à mesurer quel impact aura le scandale sur la popularité du roi, et si l'abdication de Juan Carlos a pu créer un coupe-feu susceptible de préserver son fils.

«À partir de maintenant, c'est l'image de Felipe qui va être ternie par l'affaire Urdangarin», prédisait l'écrivain José Apezarena, auteur d'une livre sur Felipe et son épouse Letizia.

Mercredi, le juge José Castro, du tribunal de Palma de Majorque, aux Baléares, rend son arrêt final dans «l'affaire Noos», du nom de la société à but non lucratif que présidait, entre 2004 et 2006, Iñaki Urdandarin, l'époux de Cristina, un ancien médaillé olympique de handball reconverti dans les affaires.

L'infante faisait partie, à la même époque, de l'équipe de direction de Noos, une société qui passait des contrats avec les autorités régionales des Baléares et de Valence pour l'organisation d'événements liés au sport.

Elle, blonde et souriante, lui, sportif et élégant, le couple affichait alors une image de réussite, à l'ombre d'une monarchie longtemps restée intouchable.

La stratégie de l'amour

Le juge, après quatre ans d'enquête, s'apprête à annoncer pour qui, de la vingtaine d'inculpés, dont Cristina, son mari âgé de 46 ans, et l'ex-associé de ce dernier, Diego Torres, il demande le renvoi en procès.

La décision finale, toutefois, sera prise par le tribunal provincial, une instance supérieure, une fois épuisés les différents recours.

Ainsi, le procureur anticorruption, après avoir longtemps travaillé main dans la main avec le juge, s'était opposé à l'inculpation de Cristina, faute selon lui d'éléments à charge suffisants.

Mais le juge Castro, réputé intègre et infatigable, a déjà lâché plusieurs bombes : en inculpant Cristina, en janvier, puis en la convoquant dans son bureau le 8 février, du jamais vu pour un membre de la Famille royale.

Au printemps 2013, une première mise en examen, pour trafic d'influence, avait été annulée à la demande du Parquet.

Le magistrat, malgré ce désaveu, s'était alors orienté vers des soupçons de fraude fiscale et blanchiment via Aizoon, une société détenue à parts égales par Cristina et son époux. Les caisses de Aizoon, soupçonnée d'avoir servie de société-écran, auraient été alimentées, pour environ un million d'euros, par de l'argent public détourné par Iñaki Urdangarin.

Le beau-frère du roi avait été inculpé le 29 décembre 2011, soupçonné d'avoir détourné, avec Diego Torres, 6,1 millions d'euros de fonds publics via l'institut Noos.

Depuis un an, le juge Castro a épluché minutieusement les comptes et déclarations d'impôts de Cristina, faisant apparaître, dans la comptabilité de Aizoon, des dépenses suspectes, liées à la vie familiale ou consacrées à la rénovation de la luxueuse villa achetée par le couple en 2004 à Barcelone.

Sous le feu des questions du magistrat, le 8 février, la soeur de Felipe a joué la carte de l'amour et de la confiance aveugle, répétant : «Je ne sais pas. Je ne suis pas au courant. C'est mon mari qui s'occupait de cela».