Enfant, Axelle Lemaire a découvert la politique en accompagnant son père dans les réunions du Parti québécois, où elle a eu droit à une rencontre mémorable avec René Lévesque. Trente ans plus tard, elle est l'une des jeunes leaders du Parti socialiste, de l'autre côté de l'Atlantique. Portrait de la ministre québécoise de François Hollande.

Dans son bureau de ministre en plein coeur de Paris, Axelle Lemaire se rappelle son premier congrès politique comme si c'était hier. À environ 10 ans, elle y accompagnait son père, professeur de communication à l'université et militant dans ses temps libres. Et elle avait pris son courage à deux mains pour demander un autographe à l'une de ses idoles politiques.

C'était l'un des derniers congrès de René Lévesque, un congrès houleux où le chef du Parti québécois «venait de se prendre des tomates dans la tête», raconte-t-elle. «Je ne réalisais pas le contexte et fidèle à sa réputation, il m'avait envoyée balader: «Pour qui tu te prends! Ce n'est pas le moment!» Je suis revenue voir mon père en sanglotant. Une heure plus tard, le congrès terminé, il a traversé toute la salle pour venir me voir, m'a demandé comment je m'appelais et m'a donné une carte signée que j'ai encore aujourd'hui...»

Si ses premiers souvenirs politiques sont québécois, sa carrière politique est résolument européenne. Née à Ottawa d'un père québécois et d'une mère parisienne s'étant rencontrés en France en mai 1968 - un «mélange absolument détonnant» -, Axelle Lemaire a passé les 16 premières années de sa vie à Hull avant que sa famille retourne en France. Elle a étudié la politique et le droit international en Europe, a travaillé pour un député travailliste en Grande-Bretagne et a été élue en 2012 comme députée des Français établis en Europe du Nord (elle vit à Londres avec son conjoint et leurs deux jeunes enfants).

Puis en avril dernier, la femme politique de 39 ans est devenue l'une des plus jeunes ministres du gouvernement socialiste de Manuel Valls (elle avait refusé un poste au Conseil des ministres en 2012 pour des raisons familiales). Un gouvernement qui souhaite faire des réformes alors que la popularité des socialistes est au plus bas.

«C'est [actuellement] un tournant très délicat, dit Axelle Lemaire. Politiquement, on est à un moment où il faut faire la preuve de la crédibilité de nos choix à l'égard des Français et des investisseurs étrangers. Depuis 50 ans, la volonté de réformer, de bouger les lignes n'a jamais été aussi grande. Forcément, lorsqu'on bouscule l'ordre établi, lorsqu'il bouge certains acquis, ça réveille la gronde. C'est un gouvernement extrêmement lucide sur la réalité de la situation française.»

Comme secrétaire d'État responsable de l'économie numérique, Axelle Lemaire veut «accompagner le mouvement de la French Tech», mais pas avec des crédits d'impôt aussi généreux que ceux du Québec. «La France a d'excellentes écoles de formation et crée énormément d'entreprises, quatre fois plus que la moyenne des pays du G7, mais nous avons du mal à pérenniser les projets d'entreprises», dit-elle.

Attachée au Québec

Élevée autant à la québécoise qu'à la française, la secrétaire d'État à l'économie numérique a perdu aujourd'hui toute trace d'accent québécois, mais elle n'a pas oublié ses racines d'outre-mer. «Je suis dans le gouvernement français comme citoyenne française, mais je suis aussi attachée au Québec de coeur comme n'importe quel adulte l'est à l'égard de l'endroit où il a grandi, dit-elle. C'est la magie de l'intégration à la française, qui permet de vivre avec une multiplicité d'identités.»

Du Québec, elle conserve plus que des souvenirs d'enfance, des amitiés durables et des liens familiaux (l'une de ses soeurs vit à Montréal). «Je découvre encore aujourd'hui l'impact culturel d'avoir grandi au Québec, notamment dans les relations sociales, dit-elle. J'ai une forme de spontanéité que je croyais être reliée à ma personnalité, mais j'ai découvert que c'était aussi très culturel. Je retiens aussi du Québec un sentiment de grande liberté et de grande insouciance. Quand je suis retournée en France à 16 ans, j'ai physiquement souffert du manque d'espace. J'ai une certaine nostalgie du Québec, je veux que mes enfants connaissent le Québec.»

Elle a dit

Sur la souveraineté du Québec :

«J'ai une opinion mais je ne l'exprime en aucun cas publiquement. Je respecte la situation, je la connais complexe, mais ce n'est pas mon rôle [de commenter sur cette question].»

Sur l'extrême droite et la popularité du Front national aux récentes élections européennes :

«Ça m'effraie. C'est la citoyenne française qui parle, mais aussi la Québécoise. Dans les pays nordiques [et au Québec], cette capacité d'écouter et d'entendre l'autre, cette tradition de tolérance est forte [...]. En France, le débat politique est caricaturé à l'extrême, on a tendance à s'enfoncer dans nos positions idéologiques au lieu d'écouter l'autre, et écouter l'autre ne veut pas dire céder ses opinions. Ça nous distance des citoyens, et je serais favorable à un climat politique plus sain.»