Le résultat des élections européennes de dimanche, marquées par une spectaculaire montée des partis europhobes, fait des vagues. Notamment en France et en Grande-Bretagne, où les partis traditionnels doivent composer avec des lendemains difficiles.

Depuis qu'il est en âge de voter, ce conducteur de bateau dans la vingtaine a toujours voté à droite. Mais dimanche, pour la deuxième fois de suite, il a fait faux bon à l'Union pour un mouvement populaire (UMP) pour appuyer le Front national (FN), le parti d'extrême droite arrivé premier en France avec 25 % des voix aux élections européennes. « Comme tout le monde, je pense que les choses doivent changer. Ça doit bouger. On [le Front national] parle de travail, d'immigration », dit-il, déclinant toutefois de donner son nom à La Presse.

Diombana, employé du réseau de transports en commun, n'est pas au nombre des 25 % d'électeurs français ayant appuyé le FN dimanche. La raison : il n'a pas voté. « Je n'ai pas voté, mais j'aime leurs idées. Marine Le Pen parle bien et elle parle d'économie », dit-il.

Le parti a peu de chance de prendre le pouvoir en France en raison de la nature du système électoral utilisé lors des élections législatives et présidentielle. Mais au lendemain du séisme des élections européennes - il s'agit du premier scrutin national où le FN est le parti qui récolte le plus de votes - , des électeurs étaient encore « sous le choc » hier.

« Je suis surprise du résultat. Ça aura sûrement des incidences pour les prochains scrutins, mais les élections françaises et européennes, ce n'est pas la même histoire », dit Raphaëlle Hondelatte, une architecte qui a voté pour le Parti socialiste. « C'est assez affolant, mais je suis une personne assez calme, je n'aime pas céder à la peur », dit Rose Denis, actrice belge vivant à Paris qui a voté pour les socialistes en Belgique.

Dans un système électoral comme le Canada et le Québec, le Front national serait favori pour aspirer au pouvoir aux prochaines élections. Mais pas en France, où le mode d'élection à deux tours des élections législatives et présidentielle confère une importance capitale au report des voix des partisans des autres partis. Ce n'est pas le cas pour le mode de scrutin proportionnel utilisé pour les élections européennes.

«Dangereux pour la démocratie»

« Selon des sondages, pour 66 % des Français, le FN reste un parti dangereux pour la démocratie. Avec une telle image, c'est très dur de se faire élire dans un système à deux tours qui demande d'obtenir 50 % +1 des votes. La preuve, il n'a pu élire que 2 députés français sur 577 aux dernières élections législatives (en 2012) », dit Nicolas Lebourg, chercheur spécialiste de l'extrême droite française qui est rattaché à l'Université de Perpignan et à la Fondation Jean Jaurès, un institut de gauche. Au Parlement européen, le Front national aura 24 des 74 eurodéputés de la France, grâce au scrutin proportionnel, mais ne ferait partie que du troisième groupe parlementaire dans le meilleur des scénarios.

« Pour gagner au deuxième tour, il faut des alliés et le Front national n'en a pas », résume Yves Bertoncini, directeur de Notre Europe-Institut Jacques Delors, rappelant l'épisode de 2002 où la gauche française avait voté massivement pour Jacques Chirac (82 % des voix) contre Jean-Marie Le Pen (18 % des voix) au deuxième tour des élections présidentielles après la défaite de leur candidat Lionel Jospin au premier tour.



Des soucis pour la droite comme pour la gauche

Qui a connu la pire soirée électorale dimanche en France : la droite ou la gauche ? Les avis sont partagés.

Au pouvoir à l'Élysée et à Matignon, le Parti socialiste a terminé troisième avec 14 % des voix, l'un des pires sinon le pire résultat électoral d'un parti au pouvoir dans l'histoire de la Cinquième République (depuis 1958). « C'est un rejet clair de la vision de l'Europe symbolisée par le PS. Il y a cette idée en France de résister à ce que l'Union européenne intervienne dans les affaires de la France », dit le chercheur Nicolas Lebourg.

À droite, l'UMP, pressenti comme le seul parti pouvant de façon réaliste empêcher la victoire du Front national, a pris le deuxième rang avec 21 % des voix. L'UMP se débat depuis plusieurs jours avec l'affaire Bygmalion, un scandale de surfacturation où l'agence Bygmalion - dirigée par des proches du président de l'UMP, Jean-François Copé - aurait facturé plusieurs millions d'euros à l'UMP pour des événements dont certaines personnes n'ont aucun souvenir durant la campagne de 2012.

« Les partis de gouvernement sont discrédités. C'est un symptôme que la France va mal, autant au plan économique qu'identitaire », dit Yves Bertoncini, qui est aussi administrateur de la Commission européenne en plus de ses fonctions à Notre Europe-Institut Jacques Delors.

Il y a le Front national lui-même qui a changé, notamment depuis que Marine Le Pen a remplacé son père Jean-Marie Le Pen comme chef en 2011. Selon Nicolas Lebourg, le parti a durci sa position contre l'antisémitisme, mais pas sa politique d'immigration. « Il y a des antisémites [parmi les militants], mais le discours officiel est clairement opposé à l'antisémitisme, dit Nicolas Lebourg, chercheur spécialiste de l'extrême droite. Les militants qui font de telles déclarations, sur les médias sociaux par exemple, sont exclus systématiquement. Chaque fois que Jean-Marie Le Pen faisait une déclaration antisémite, le parti recevait des centaines de cartes de membres déchirées. Les gens disaient « je veux militer chez vous mais on me traite de nazi «. C'est un parti contre les immigrés, un parti islamophobe, mais l'islamophobie n'est pas perçue de la même manière que l'antisémitisme en France. »