L'Irlande du Nord a replongé jeudi dans l'un des épisodes les plus atroces de ses trente années de conflit interconfessionnel, avec l'arrestation du leader républicain Gerry Adams dans l'enquête sur l'exécution par l'IRA d'une présumée informatrice de l'armée britannique, en 1972.

Les responsables politiques à Londres, Belfast et Dublin sont restés circonspects sur l'affaire impliquant un artisan de l'accord de paix scellé dans la province en 1998, aujourd'hui député, et Jean McConville, l'une des 3000 victimes les plus emblématiques des «troubles», la référence pudique usuelle à l'un des pires conflits récents en Europe.

«Il n'y a eu absolument aucune ingérence politique» autour de cette arrestation, s'est contenté de dire jeudi le premier ministre David Cameron.

Mais Martin McGuinness, ancien commandant de l'IRA aujourd'hui vice-premier ministre d'Ulster, a jugé que l'arrestation à trois semaines d'un scrutin local constituait «une tentative délibérée d'influencer le résultat des élections».

La réserve officielle exprime aussi le souci de ne pas compliquer la normalisation freinée par des radicaux en Ulster : qu'il s'agisse de catholiques partisans d'un rattachement de l'Ulster à la république d'Irlande, ou de protestants déterminés à garantir son maintien dans le giron de la couronne.

Gerry Adams, 65 ans, président du Sinn Fein, qui fut longtemps l'aile politique de l'Armée républicaine irlandaise (IRA), a déclaré s'être volontairement rendu mercredi soir dans un commissariat du comté d'Antrim, ex-fief de la guérilla, pour se «disculper».

L'homme de grande stature à la barbe poivre et sel et à l'accent rocailleux, susceptible de rester 48 heures en garde à vue, a démenti toute implication dans le meurtre de Jean McConville : «Une erreur et une grave injustice» selon lui.

Jean McConville était une protestante de 37 ans, veuve d'un catholique et mère de 10 enfants.

Elle a été enlevée en 1972, au paroxysme des «troubles», par un commando de l'IRA, dans le quartier catholique des Falls, à Belfast-Ouest.

Elle faisait partie des 16 «disparus» dont l'IRA n'a admis le meurtre, d'une balle dans la nuque, qu'en 1999. Son cadavre enfoui sous une plage a été retrouvé quatre ans après.

Une enquête policière a démenti qu'elle était «une indic». Son seul tort aurait été d'avoir porté secours à un soldat britannique blessé dans un attentat de l'IRA.

Les mains sales

Jeudi, un de ses fils, âgé de 11 ans à l'époque des faits, a accordé un témoignage poignant à la BBC. Il a dit taire l'identité des meurtriers, encore terrifié par les menaces de mort proférées contre lui-même et sa famille.

L'affaire McConville a refait surface après que la police nord-irlandaise eut gagné en justice le droit d'accéder aux enregistrements de chercheurs de l'Université américaine de Boston. Dans le cadre du «Belfast project», ils ont interviewé des paramilitaires catholiques républicains, à la condition de ne divulguer leurs propos qu'à titre posthume.

Dans l'un de ces entretiens, Dolours Price, condamnée à sept ans de prison pour un attentat de l'IRA de 1973 contre le tribunal londonien d'Old Bailey, désigne Gerry Adams comme celui qui a ordonné le meurtre de Jean McConville.

Fin mars, Ivor Bell, un retraité de 77 ans, ancien responsable de l'IRA, a été inculpé de complicité dans ce meurtre.

À la grande satisfaction de ceux qui crient justice contre les poseurs de bombes (tel Seamus Daly, dissident de l'IRA arrêté mi-avril pour l'attentat d'Omagh, 29 morts en 1998) ou contre les soldats britanniques qui ont tiré sur une manifestation catholique lors du «Bloody Sunday», faisant 26 morts en 1972.

Preuve du souci de tourner la page, Martin McGuinness, ancien commandant de l'IRA devenu vice-premier ministre d'Ulster, était invité de la reine Élisabeth II au banquet qu'elle a donné au château de Windsor le mois dernier, à l'occasion de la première visite historique au Royaume-Uni d'un président irlandais.

Tout comme Gerry Adams, McGuinness est haï par ceux qui considèrent qu'il a «les mains sales».

Les deux hommes sont par contre largement admirés pour leur conversion au combat démocratique et à la réconciliation à Belfast régulièrement la proie d'accrochages entre catholiques et protestants, et toujours parcourue par un mur de séparation.