Le nouveau Premier ministre français Manuel Valls, nommé lundi soir par le président François Hollande, va mener des consultations mardi en vue de former un nouveau gouvernement, deux jours après la cinglante défaite des socialistes aux municipales.

Ce changement de Premier ministre a suscité des réactions hostiles au Front de gauche, tandis qu'Europe Ecologie-les Verts, membre de l'actuelle majorité au pouvoir, a posé des conditions à son soutien au futur gouvernement.

«Il est temps aujourd'hui d'ouvrir une nouvelle étape», a souligné lundi soir le chef de l'État lors d'une allocution télévisée solennelle de huit minutes, ajoutant qu'il avait confié à l'ex-ministre de l'Intérieur «la mission de conduire» un «gouvernement de combat».

Manuel Valls «en a les qualités», a-t-il insisté, promettant une «équipe resserrée, cohérente et soudée» pour mettre en oeuvre le pacte de responsabilité, pierre angulaire de sa politique économique qui prévoit une baisse des charges des entreprises en échange d'embauches.

Le chef de l'État n'a dit mot cependant de la formation du gouvernement qui n'interviendra pas avant mercredi, avec un Conseil des ministres mercredi ou jeudi.

Mardi devrait donc être une journée de consultations. Parmi les nouveaux entrants, sont cités régulièrement les noms de Ségolène Royal, candidate à la présidentielle de 2007 et ex-compagne du président, peut-être pour prendre un ministère élargi de l'Éducation. François Rebsamen pourrait s'occuper de l'Intérieur, un poste qu'il souhaitait en 2012.

Pour tenter de rassurer l'aile gauche de sa majorité, inquiète de la nomination de Manuel Valls et qui réclamait des mesures de justice sociale, François Hollande a annoncé aussi un «pacte de solidarité» ainsi qu'une «diminution des impôts des Français» d'ici à 2017 et «une baisse rapide des cotisations» des salariés.

Pas de quoi convaincre cependant les deux écologistes du gouvernement sortant, Pascal Canfin (Développement) et Cécile Duflot (Logement), qui ont prévenu d'emblée qu'ils n'entendaient pas «participer à ce nouveau gouvernement» estimant que M. Valls n'était «pas la réponse adéquate aux problèmes des Français».

Une prise de position relevant de la «cohérence politique», a salué la numéro un d'EELV Emmanuelle Cosse dans un communiqué à l'AFP, soulignant que son parti «attend dès aujourd'hui une clarification, de la part du Premier ministre, sur l'orientation du nouveau gouvernement» pour le juger ou non écolo-compatible... Sans même parler de l'éventuelle participation de membres d'EELV à cette future équipe conduite par Valls.

«C'est lors de son Conseil Fédéral qui se réunira les 5 et 6 Avril et en connaissant sa composition et ses orientations , concernant la transition énergétique, la révision du pacte de responsabilité et les orientations budgétaires qu'Europe Ecologie Les Verts déterminera son éventuel soutien au gouvernement lors du vote de confiance», ajoute-t-elle.

Avec son nouveau Premier ministre, François Hollande a choisi «le plus grand commun diviseur de la gauche», a dénoncé Jean-Luc Mélenchon, coprésident du Parti de Gauche. Il «n'entend que de l'oreille droite», a asséné le numéro un PCF, Pierre Laurent.

La formation du gouvernement 

Selon le président du principal parti d'opposition UMP (droite), Jean-François Copé, «le limogeage» de Jean-Marc Ayrault «ne suffira pas à régler les problèmes» de la France. «Ce n'est pas en changeant les hommes et en gardant la même politique» qu'on règle les problèmes, a-t-il fait valoir.

Ce remaniement «ne changera rien car (...) c'est un changement de politique que les Français attendent et pas tant un mercato gouvernemental», a réagi pour sa part Marine Le Pen, la présidente du Front national (extrême droite).

A l'inverse, le numéro un du PS, Harlem Désir, a salué le choix présidentiel, qui «ouvre un nouveau temps du quinquennat». Le patron des sénateurs PS, François Rebsamen, a estimé que François Hollande avait «levé le malentendu» avec les Français.

Chef de file des sénateurs écologistes, Jean-Vincent Placé avait lancé quelques heures plus tôt une petite bombe en disant «stop au pacte de responsabilité».

Et quatre courants de la gauche du PS s'étaient donné rendez-vous lundi soir à l'Assemblée nationale pour demander «une réorientation» de la politique menée et aborder la question de la confiance au prochain gouvernement.

Le président Hollande, pressé de réagir, y compris dans son camp, au vu de l'ampleur de la défaite au second tour des municipales, avait conduit d'intenses consultations à l'Élysée où il s'était entretenu durant deux heures lundi matin avec le Premier ministre sortant.

A quelques semaines du deuxième anniversaire de son entrée à l'Élysée et à deux mois d'élections européennes qui s'annoncent au moins tout aussi périlleuses pour la majorité, le président a essuyé dimanche une défaite personnelle aussi: sanction d'une impopularité record sous la Ve République, d'une crise de confiance symbolisée par la forte abstention des électeurs de gauche et d'une hausse du chômage qu'il ne parvient pas à juguler.

En perdant au moins 155 villes de plus de 9000 habitants - certaines à gauche depuis plus de cent ans - le camp socialiste a permis à la droite d'effacer largement ses pertes du scrutin de 2008 (82 villes de plus de 10.000 habitants), abandonnant du même coup son statut de premier pouvoir local.

Selon un sondage BVA pour Le Parisien/Aujourd'hui en France, près des trois quarts (74%) des Français ne souhaitaient pas que Jean-Marc Ayrault reste Premier ministre. Manuel Valls arrivait en tête des personnalités préférées des Français pour lui succéder (31%), loin devant les deux premiers challengers Martine Aubry (17%) et Laurent Fabius (16%).

Ce grand chamboulement intervient alors que la matinée de lundi a été marquée par une avalanche de mauvaises nouvelles économiques : dérapage du déficit public et recul des marges et des investissements des entreprises l'an dernier, fléchissement du pouvoir d'achat des ménages au 4e trimestre 2013.

Manuel Valls, un socialiste qui plaît surtout à droite

Immigré catalan tenant d'un socialisme français à la Tony Blair, Manuel Valls, 51 ans, a souvent choqué la gauche à son poste de premier «flic» de France au ministère de l'Intérieur.

Bien plus apprécié à droite qu'à gauche, cet homme à l'ambition assumée, au ton parfois cassant, a tracé pendant près de deux ans à cette fonction son sillon vers Matignon, le siège du gouvernement, au rythme des polémiques suscitées par sa fermeté.

Dernière en date: le bras de fer engagé en janvier avec le polémiste Dieudonné, plusieurs fois condamné pour antisémitisme et dont il a obtenu l'interdiction des spectacles. Quelques mois plus tôt, il avait déjà provoqué un tollé après l'arrestation à l'école et l'expulsion au Kosovo d'une collégienne rom de 15 ans vivant dans l'est de la France.

De la gauche radicale à certains responsables de son parti, plusieurs avaient alors demandé sa tête. Car, c'est à droite que Manuel Valls, chantre de l'ordre républicain au discours musclé, plait le plus. Dans un sondage publié en mars, 41% des sympathisants de droite le choisissaient comme premier ministre parmi les personnalités socialistes, contre seulement 20% des sympathisants de gauche.

Son énergie au ministère de l'Intérieur et la médiatisation de ses interventions n'étaient d'ailleurs pas sans rappeler un prédécesseur de droite devenu président: Nicolas Sarkozy.

«Il dit des choses avec une certaine honnêteté, une certaine lucidité et oui, des fois, une certaine brutalité», résume Alain Bauer, professeur de criminologie et ami de Manuel Valls depuis l'université.

«Beau gosse»

Son côté «beau gosse» est aussi apprécié des femmes et selon un sondage du magazine Elle, 20% des Françaises auraient bien une «aventure torride» avec ce brun aux yeux bleus, remarié avec une violoniste.

Né à Barcelone le 13 août 1962 d'une mère suisse italienne et d'un artiste peintre catalan, Manuel Valls n'est devenu Français qu'à 20 ans et il est resté un fidèle supporter du Barça. Il a fait de brèves études d'histoire. Il est père de quatre enfants.

A l'image d'un Tony Blair qui avait secoué le parti travailliste, il s'est affirmé au sein de l'aile «réformatrice» de son parti, suggérant qu'il devrait abandonner le mot «socialiste». Il s'en est également pris à la loi, votée par les socialistes, limitant le travail en France à 35 heures.

Élu maire d'Evry, dans la banlieue multiculturelle de Paris, en 2001 et à l'Assemblée nationale un an plus tard, Manuel Valls reste un outsider dans son parti, souvent qualifié d'agressif et difficile.

En 2011, il se présente aux primaires du parti socialiste comme candidat à la présidentielle. Il se fait remarquer en épinglant les «vieilles recettes» de la gauche mais n'obtient que 6%. Il se rallie alors à François Hollande dont il devient le très zélé directeur de communication de campagne.

Quand M. Hollande l'emporte en 2012 face à Nicolas Sarkozy, il récompense Manuel Valls, qui a toujours fait de la sécurité un enjeu majeur, en le nommant à l'Intérieur, un ministère perçu souvent comme un tremplin pour Matignon.

Là, il poursuit la politique de Nicolas Sarkozy en démantelant de nombreux campements illégaux occupés par des Roms. Cette action est approuvée par une majorité des Français mais critiquée par les associations qui appellent à renforcer la politique d'insertion des Roms.

Au sein du gouvernement, Manuel Valls s'est à plusieurs reprises opposé à la ministre de la Justice Christiane Taubira dont il conteste le projet de réforme pénale, mais aussi à sa collègue écologiste, la ministre du Logement Cécile Duflot, qui ne cache pas ses différends en matière de sécurité et d'immigration avec le «premier flic de France».

Photo Charles Platiau, Reuters

Le nouveau Premier ministre de la France Manuel Valls.