Le Front national (extrême droite) a réalisé une très forte poussée dimanche au premier tour des élections municipales en France, réussissant une opération de banalisation qui pourrait le faire apparaître comme un parti de gouvernement dans un pays durement frappé par la crise économique.

«Ces périodes (de crise) ont toujours été merveilleuses pour les extrêmes, parfois pour l'extrême gauche et parfois pour l'extrême droite», a noté lundi le socialiste Pascal Lamy, ancien directeur général de l'Organisation mondiale du commerce.

Le FN de Marine Le Pen a réussi à surfer sur une abstention record et les effets délétères des affaires qui ont secoué la classe politique ces dernières semaines : surfacturations au sein du parti de droite UMP, enregistrements clandestins d'un ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, écoutes judiciaires de l'ancien président... En outre, le chômage a encore grimpé en janvier en France, pour atteindre le niveau record de 3,31 millions de demandeurs d'emploi sans activité.

Le parti d'extrême droite a remporté dès le 1er tour Hénin-Beaumont (nord). Il pourrait l'emporter dimanche prochain dans d'autres villes comme Béziers et Fréjus, dans le sud, et se trouve en position d'arbitre dans des dizaines d'autres.

«En gérant localement des villes, le FN relève maintenant le défi d'apparaître comme un parti de gouvernement», fait valoir Nonna Mayer, spécialiste du FN au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Le parti d'extrême droite a bénéficié du «durcissement des opinions dans l'ensemble de la société française à l'égard des étrangers et d'une demande d'autorité accrue depuis le début de la crise économique», explique-t-elle à l'AFP.

Der Spiegel, le grand hebdomadaire allemand, écrivait lundi que le Front national «s'autocélèbre en tant que troisième force».

«C'était inespéré», a salué la présidente du FN qualifiant ce scrutin de «cru exceptionnel» marquant «la fin de la bipolarisation de la vie politique» française.

Certains experts relativisent toutefois l'impact de cette poussée en France et en Europe.

Brouillage à droite

«Le Front national était présent dans 600 communes, alors que la France c'est 36 000 communes», dit à l'AFP Sylvain Crépon, expert du FN à l'Université de Nanterre (ouest de Paris). «Il va être présent au second tour dans 200 communes : c'est une performance, mais on ne peut pas dire qu'il a mis fin à la bipolarisation gauche-droite».

Pour Nonna Mayer, «il y a bien trois forces, mais il continue à y avoir bipolarisation de la vie politique française». «Il y a plutôt maintien de la bipolarisation, avec un brouillage des frontières entre droite modérée et droite extrême», dit-elle à l'AFP.

Marine Le Pen «a changé la manière de dire les choses : ses termes sont présentés comme compatibles avec la démocratie» explique cet experte, même si «l'idée de fond, la priorité nationale, n'a pas changé».

Le FN «joue à la fois la carte de la radicalité pour se différencier et la carte de la dédiabolisation de façon à pouvoir capter un électorat qui n'est pas spontanément tourné vers ses idées», explique Sylvain Crépon.

Doit-on s'attendre à un effet domino pour les extrêmes droites à l'échelle européenne?

Sylvain Crépon est sceptique. Le FN «va faire de très bonnes élections européennes : il va être devant le parti socialiste, voire même devant l'UMP», dit-il. Mais il ne voit «aucun effet automatique».

«Ce succès aux municipales donne une visibilité plus grande à travers l'Europe et cela peut aider le FN à renforcer les liens entre les différentes formations populistes radicales en Europe : le parti de la liberté aux Pays-Bas, le Vlaams Blok en Flandre, le parti autrichien de la liberté», estime Nonna Mayer. Pour elle, «Marine Le Pen va chercher à constituer un groupe avec des partis de ce type pour se distinguer des extrêmes droites traditionnelles dures».