L'ex-président Nicolas Sarkozy, mis sur écoutes par des juges, est sorti brutalement de sa réserve dans une tribune incendiaire où il compare la France à une dictature, au grand dam de la gauche au pouvoir et des magistrats.

À l'avant-veille d'un scrutin municipal, premier test électoral dimanche pour François Hollande, la sortie de l'ancien chef d'État, dont l'ambition officieuse de briguer un deuxième mandat en 2017 est gênée par une demi-douzaine d'affaires judiciaires, a été sévèrement commentée par l'exécutif.

Le président socialiste François Hollande a jugé «insupportables» ses attaques contre la justice. Le ministre du Travail Michel Sapin les a, lui, comparées à celles auxquelles se livrait l'ancien chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi contre les magistrats qui enquêtaient sur son compte.

Méthodes de la Stasi (ex-police politique de l'Allemagne de l'Est), «absence de scrupules sans précédent»: l'ex-président de droite (2007-2012) est virulent dans son texte d'une page et demie, publié vendredi dans le journal Le Figaro. Sans précédent connu pour un ancien chef d'État français, l'écoute judiciaire de ses conversations s'est soldée en février par l'ouverture d'une enquête pour trafic d'influence et violation du secret professionnel.

«Toute comparaison avec des dictatures est forcément insupportable», a aussitôt réagi François Hollande.

La présidente du tribunal de grande instance de Paris, Chantal Arens, est sortie de sa réserve pour souligner que les juges sont «indépendants» et doivent pouvoir travailler «en toute sérénité». «La police n'est pas la Stasi», a aussi réagi un syndicat des officiers de police.

Avec cette tribune où il se pose en victime d'un complot politico-judiciaire, l'ancien président cherche à susciter un mouvement de solidarité dans l'opinion alors que sa stratégie de reconquête politique après sa défaite de 2012 est sérieusement compromise par les soupçons qui pèsent sur lui dans différents dossiers judiciaires.

«Nicolas Sarkozy crie au complot pour mobiliser la droite», titrait Le Monde.

M. Sarkozy est sorti du silence qui faisait partie de sa stratégie «parce qu'il a eu conscience qu'il risquait sa mort politique», estime Thomas Guénolé, politologue à l'Institut de sciences politiques,.

Après le non-lieu dont il a bénéficié dans l'affaire Bettencourt (abus de faiblesse aux dépends de cette milliardaire), l'accumulation d'affaires judiciaires dans lesquelles il est encore cité  - qui n'ont cependant pour l'instant pas débouché sur des mises en examen - risque de devenir un handicap pour son camp dans la perspective de 2017, relève le politologue.

«On est à un moment de bascule, où l'opinion et les états-majors (de la droite) commencent à se demander s'il ne faut pas passer à un autre champion», par exemple à l'ancien premier ministre et ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, estime Thomas Guénolé.

Soutien mesuré

La droite a apporté vendredi un soutien mesuré à M. Sarkozy. Son ancien premier ministre François Fillon a fait dire par son entourage que M. Sarkozy avait eu «raison de vouloir être respecté dans ses droits» et considéré que les «écoutes ciblées» dont il a été l'objet étaient «une forme de dérèglement de notre État de droit». L'ancienne «plume» de M. Sarkozy, Henri Guaino, a jugé qu'il avait réagi «en tant que l'homme attaqué tous les jours» et qui trouve que «c'est trop».

«Les juges entendent les discussions que j'ai avec les responsables politiques français et étrangers. Les conversations avec mon avocat ont été enregistrées sans la moindre gêne. L'ensemble fait l'objet de retranscriptions écrites dont on imagine aisément qui en sont les destinataires!», s'indigne dans sa tribune l'ancien président, qui a toujours eu des rapports exécrables avec les magistrats.

«Vous lisez bien. Ce n'est pas un extrait du merveilleux film La Vie des autres sur l'Allemagne de l'Est et les activités de la Stasi. (...) Il s'agit de la France», a-t-il aussi écrit. «Suis-je en droit de m'interroger sur ce qui est fait de la retranscription de mes conversations?», demande-t-il.

Il s'en prend aussi aux failles de dossiers judiciaires l'impliquant: financement présumé de sa campagne de 2007 par l'ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, soupçons de financement occulte de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995.

En revanche il ne cite pas deux autres affaires: un arbitrage controversé entre l'homme d'affaires Bernard Tapie et la banque Crédit Lyonnais dans la vente d'Adidas, et les sondages commandés sans appel d'offres par l'Élysée sous sa présidence. Une omission «perturbante», selon Thomas Guénolé.