Les Suisses ont voté à 50,3% contre l'«immigration de masse», cette semaine. Depuis, l'Europe s'inquiète de cette décision teintée de «xénophobie», qui témoigne d'un certain sentiment de perte de maîtrise éprouvé par la population helvétique.

Les électeurs suisses viennent de dire non à l'«immigration de masse», dans un scrutin qui a surpris les observateurs et provoqué une onde de choc en Europe.

Adoptée à 50,3%, dimanche, l'initiative populaire a provoqué un «émoi très fort» en Suisse, explique Étienne Piguet, professeur à l'Institut de Neuchâtel et vice-président de la Commission fédérale pour les questions de migration, une organisation indépendante qui conseille le gouvernement.

«Même ceux qui appuyaient l'initiative sont surpris du résultat, dit-il en entrevue téléphonique. Bien des observateurs s'attendaient à un vote serré. Mais voir l'initiative rallier une majorité de voix, c'est surprenant et un peu déstabilisant.»

Depuis 2008, la Suisse vit une politique de «libéralisation totale» de l'immigration avec l'Union européenne (UE), de sorte que tout citoyen de l'Union peut s'établir et travailler en Suisse. Cela a provoqué une arrivée d'immigrants plus élevée que par le passé.

Or, les Suisses ont aussi accès aux pays de l'Union européenne, où 430 000 résidents de la Confédération helvétique travaillent et vivent. Le vote de dimanche aura des impacts sur cet accès réciproque, a dit José Manuel Barroso, président de la Commission européenne.

«Vous pouvez comprendre qu'il est certainement plus important pour la Suisse d'accéder à un marché qui est le plus grand au monde que pour l'UE d'accéder à la Suisse, qui est un pays très important», a confié M. Barroso à Reuters.

«Problèmes de riches»

Avec un taux de chômage de 3,5%, l'économie suisse tourne pratiquement à plein régime. En partie grâce à sa monnaie indépendante, le pays a su éviter la crise que traversent les pays de l'Union européenne.

C'est une série de problèmes relativement mineurs qui ont pesé dans la balance, le jour du vote, note M. Piguet.

«Bien des Suisses attribuent à l'immigration les problèmes qu'ils vivent au quotidien, comme l'engorgement des transports, la difficulté de trouver des logements à des prix abordables, etc. Ce sont des «problèmes de riches». Il y a aussi une dimension xénophobe, qui a une longue histoire dans la politique suisse.»

Mettre un frein à l'arrivée de travailleurs sera nuisible à la croissance du pays, a rappelé, avant le vote, le patronat. Plusieurs multinationales suisses comptent sur l'immigration pour trouver les employés qualifiés dont elles ont besoin.

Hier, le président suisse Didier Burkhalter, qui militait contre l'initiative, a cherché à rassurer la population.

«Rien ne change immédiatement», a-t-il dit. Un projet de loi sur l'imposition de «quotas» d'immigration doit être déposé avant la fin de l'année.

Les premières analyses ont montré que les villes présentant la plus faible proportion d'immigrants sont celles qui ont le plus appuyé la mesure, alors que les régions les plus cosmopolites y étaient généralement opposées. La Suisse romande, d'expression française, a voté non.

«La Romandie a dit non, et c'est la région la plus dynamique de Suisse», a dit le président Burkhalter, clairement agacé par le résultat du scrutin.

En 2009, les électeurs suisses avaient voté pour interdire la construction de nouveaux minarets, une décision qui avait été fortement critiquée par l'ONU. Le pays compte quatre minarets.

L'immigration en chiffres

Un million

Nombre de citoyens de l'Union européenne qui vivent ou travaillent en Suisse. Ils représentent 66% de tous les étrangers qui habitent dans la Confédération.

23%

Pourcentage de la population suisse née à l'étranger. À titre de comparaison, la proportion de personnes nées à l'étranger est de près de 30% en Australie, 21% au Canada et 13% aux États-Unis.