Vingt ans après le génocide au Rwanda, la France, souvent accusée d'avoir soutenu le régime génocidaire, a commencé mardi à juger un ex-officier rwandais pour son rôle dans ce drame, une première dans ce pays qualifié de «bon signe» même tardif par Kigali.

Pascal Simbikangwa, 54 ans et paraplégique depuis un accident en 1986, nie les accusations. Il risque la prison à vie. L'accusé s'est présenté sous son autre nom, David Senyamuhara Safari, sous lequel il avait été arrêté en 2008 dans l'île française de Mayotte.

«J'ai été capitaine dans l'armée rwandaise puis dans les services de renseignement», a dit à la cour ce petit homme chauve, vêtu d'un blouson marron clair et d'un pantalon de survêtement blanc.

Pascal Simbikangwa est jugé en vertu du principe de «compétence universelle» de la justice française, lui permettant de poursuivre des personnes recherchées pour des faits de crimes contre l'humanité commis à l'étranger.

La justice française a refusé d'extrader cet ancien capitaine hutu vers le Rwanda.

Il est jugé pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité, accusé d'avoir incité, organisé et aidé, notamment en organisant des barrages et en armant les miliciens qui les tenaient, les massacres qui firent quelque 800 000 morts en 100 jours, entre avril et juillet 1994.

Le procès, exceptionnellement filmé pour l'Histoire, doit durer six à huit semaines. Après la sélection du jury, la première journée de mardi devait être consacrée au résumé des accusations et au début de l'interrogatoire de l'accusé sur son curriculum vitae.

«L'Histoire est en marche. Nous nous sommes toujours demandé pourquoi ça avait pris 20 ans (...) c'est tard, mais c'est bon signe», a déclaré à l'AFP le ministre rwandais de la Justice, Johnston Busingye.

Pour le chef de la diplomatie française, «c'est une bonne chose que ce procès ait lieu». «Il faut que la justice passe», a-t-il commenté.

Plusieurs pays européens ont déjà jugé dans le passé des personnes soupçonnées d'implication dans le génocide rwandais. En France, une vingtaine de dossiers sont toujours en cours d'instruction.

Proximité avec premier cercle du pouvoir hutu

Les deux premières semaines d'audience du procès Simbikangwa seront principalement consacrées à dépeindre le contexte ayant conduit au massacre de centaines de milliers de Tutsi, ainsi que de Hutu modérés, par les milices endoctrinées et armées par le régime du président hutu Juvénal Habyarimana. L'assassinat le 6 avril 1994 de ce dernier fut l'événement déclencheur du génocide.

Simbikangwa reconnaît sa proximité avec le premier cercle du pouvoir hutu, «l'akazu» (petite maison), dont de nombreux responsables ont été condamnés pour leur rôle dans le génocide. Mais il réfute toute implication dans les massacres et ses avocats, Alexandra Bourgeot et Fabrice Epstein, dénoncent un dossier fragile où «les seules accusations, ce sont des témoignages». La justice a d'ailleurs renoncé à le poursuivre pour génocide, ne retenant que la complicité.

«Enfin ce procès arrive. C'est à la fois un grand soulagement et une appréhension de se retrouver face à lui», a déclaré le président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), Alain Gauthier.

«Simbikangwa nie, mais tous les génocidaires poursuivis en France sont dans la négation totale», a-t-il ajouté.

La cour entendra une trentaine de témoins rwandais sur les faits, dont par visioconférence certains détenus condamnés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda ou la justice rwandaise. La justice compte en faire venir d'autres du Rwanda pour évoquer les événements dans la région d'origine de Simbikangwa (et de la famille Habyarimana), et dans le quartier chic de Kigali où il habitait.

La défense dénonce un procès éminemment politico-diplomatique, alors que Kigali et Paris - accusé par les autorités rwandaises issues de l'ex-rébellion tutsi d'avoir soutenu les génocidaires - se sont rapprochés, après trois années de rupture des relations diplomatiques (2006-2009).