Le président Viktor Ianoukovitch a promulgué vendredi une amnistie qui dans les faits donne 15 jours aux opposants pour libérer les lieux publics occupés en Ukraine, où l'armée a exigé des mesures d'urgence après deux mois d'une crise sans précédent.

La loi d'amnistie avait été votée par le Parlement dans le cadre de concessions à l'opposition.

Mais celle-ci a été assortie de la condition de libérer les lieux publics occupés dans les 15 jours, ce que les opposants, affichant leur méfiance, ont refusé, plongeant à nouveau le pays dans l'impasse politique.

Un groupe d'opposants radicaux, Pravy Sektor, a même menacé de revenir à des actions violentes contre les forces de l'ordre et le pouvoir en place si les opposants incarcérés n'étaient pas libérés et si des négociations entre pouvoir et opposition ne reprenaient pas.

Les militaires ukrainiens, qui ont par le passé souligné qu'ils n'interviendraient pas dans cette crise divisant leur pays, sont de leur côté sortis de leur réserve.

L'armée a appelé «le chef suprême des armées», c'est-à-dire Viktor Ianoukovitch, à prendre des mesures d'urgence pour «stabiliser la situation dans le pays», soulignant que l'escalade de la contestation menaçait «l'intégrité territoriale» de l'Ukraine.

Le secrétaire général de l'Otan Anders Fogh Rasmussen a pour sa part fait état de son «inquiétude» à la suite de cette déclaration, estimant sur son compte Twitter que l'armée devait rester «neutre».

Ce nouveau rebondissement intervient sur fond d'enlisement politique complet dans cette ancienne république soviétique, où pouvoir et opposition s'accusent mutuellement d'envenimer les choses, et dont le président est officiellement depuis jeudi en «arrêt maladie».

Pour un conseiller du président russe Vladimir Poutine, Sergueï Glaziev, qui dénonce un «coup d'État rampant» fomenté par les États-Unis et leurs alliés, M. Ianoukovitch doit «mater» la rébellion s'il ne veut pas perdre le pouvoir.

Mais pour Vadym Karassev, à la tête de l'Institut des Stratégies mondiales de Kiev, si la déclaration des militaires montre leur fidélité au président, elle «ne signifie pas que les manifestants (...) vont être dispersés ou que l'état d'urgence va être décrété.»

Pour l'heure, c'est le récit de Dmytro Boulatov, un militant d'opposition de 35 ans enlevé le 22 janvier à Kiev et abandonné dans une forêt jeudi après avoir été torturé, qui a ému et suscité des craintes de répression cachée.

Hospitalisé, le militant a été mis sur la liste de personnes recherchées par la police pour organisation de troubles massifs et semble risquer une arrestation.

Plusieurs militants ont déjà été passés à tabac ou enlevés, et un a été retrouvé mort dans une forêt avec des marques de torture.

Une ONG a recensé 33 cas de disparitions d'opposants.

La représentante de la diplomatie de l'UE, Catherine Ashton, s'est dite «consternée» vendredi par cette affaire, et les précédents cas connus.

Les États-Unis veulent reprendre la main

Les États-Unis ont, quant à eux, paru vouloir mettre leur poids dans la balance, rejoignant les Européens qui ont multiplié les missions de médiation et les déclarations ces deux derniers mois.

Geste de taille à l'égard de l'opposition, le secrétaire d'État américain John Kerry doit ainsi rencontrer samedi ses dirigeants, dont l'ancien boxeur Vitali Klitschko et l'ex-ministre Arseni Iatseniouk, en marge de la Conférence sur la sécurité de Munich.

Des responsables russes ont d'ores et déjà réagi, comme le vice-premier ministre Dmitri Rogozine qui a qualifié cette rencontre de «cirque».

Les Européens, qui craignent de voir dégénérer ce conflit qui a fait au moins quatre morts et plus de 500 blessés, ont exhorté ces derniers jours toutes les parties à l'apaisement.

En plein centre de Kiev, sur la place de l'Indépendance, ils étaient vendredi, par moins 20 degrés, une poignée de militants de l'opposition à continuer à «monter la garde», tentant de se réchauffer autour de braseros .

«Nous resterons jusqu'à la complète capitulation du pouvoir», et le départ du président Ianoukovitch, proclame Micha, la cinquantaine, employé dans l'industrie du bois.

Le gouvernement ukrainien a démissionné mardi sous la pression de la rue, son ancien chef Mykola Azarov est parti pour Vienne, selon la presse autrichienne, et les lois répressives de janvier été abrogées.

Mais, méfiants, les opposants soupçonnent M. Ianoukovitch de vouloir gagner du temps.

Celui-ci a d'ailleurs été déclaré jeudi matin indisponible par son service de presse en raison d'une «maladie respiratoire aiguë».